Sans Papiers Ni Frontières

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Contre les frontières et leurs prisons

[Turin] En morceaux – 16 mars 2013

Incendie après incendie, le CIE de corso Brunelleschi continue à perdre des morceaux. Le dernier, hier soir, survenu durant une brève émeute déclenchée vers 20 heures par les retenus de la section violette, avec matelas et articles ménagers mis au feu dans les chambres. La révolte a pris corps une demi-heure après un rassemblement bruyant devant le centre d’une vingtaine d’ennemis des expulsions, avec petards, slogans, cris, et messages de solidarité. Il ne reste plus de chambres disponibles dans la zone violette, et les prisonniers ont dû dormir soit dans la cantine soit dans une autre section. Depuis les dernières émeutes, il ne reste plus qu’une chambre dans la section bleue ainsi que dans la rouge où dorment 8 ou 9 personnes,. La section jaune, où le 24 février trois chambres étaient parties en fumée sur cinq, est la plus bondée : une chambre a été rouverte et donc les retenus sont répartis dans trois chambres ainsi que, bien sûr, dans la salle à manger.

 

macerie @ Marzo 16, 2013

 

[Turin] D’une expulsion à l’autre – 1er mars 2013

Encore une journée mouvementée au CIE de Turin. Dans l’après midi un retenu monte sur le toit de la section violette pour éviter l’expulsion, et un groupe de solidaires se retrouve devant les murs pour le saluer et le soutenir avec slogans et pétards d’un calibre certain. Non loin de là, un photo reporter trahi par le flash de son appareil se voit encerclé et maltraité : il réussit à sauver son appareil mais perd ses lunettes. Par la suite il s’avérera être un collaborateur d’un des pires journaux locaux, peut-être l’auteur de ces photos pas exactement primables au Pulitzer.

Quand arrive la confirmation que l’expulsion du retenu sur le toit est reportée, les manifestants s’éloignent  mais une douzaine d’entre-eux se retrouve bloquée non loin par plusieurs voitures de flics. Les arrêtés ont été embarqués au commissariat de via Tirreno, et détenus plusieurs heures. Tous seront relâchés dans la soirée, sauf une compagnonne française : selon les menaces de la police, elle serait raccompagnée à la frontière avec un décret d’expulsion d’Italie.

source : macerie

La même nuit le local d’électricité du bureau de l’immigration de la préfecture est incendié et les journaux comme les flics accusent les anarchistes. Les dégâts se chiffreraient à 70000 euros environ, et ont nécessité l’installation d’un groupe électrogène.

Vu dans les journaux

[Turin] Révolte au CIE – 13 janvier 2013

Le 13 janvier 2013 vers 23h, à cause du froid et de l’absence de chauffages, des retenus de toutes les sections du centre ont incendié des matelas dans la cour. D’autres sont montés sur les toits du centre. À l’appel de la radio Blackout, plusieurs solidaires se sont retrouvé.e.s en face du centre pour saluer les révoltés. À la fin de la manifestation une vingtaine d’entre eux a été arrêtée par une douzaine de flics à la Piazza Sabotino.* Cependant, suite à un nouvel appel diffusé par la radio (blackout), un autre groupe de solidaires a bloqué une rue de manière improvisée ce qui a conduit à la libération des personnes arrêtées et au retrait de la police.

 * située bien loin du CIE (ndlt)

Librement traduit de macerie

[Italie] Révoltes et évasions du nouvel an 2013

28 décembre à Turin

Dans l’après-midi, quelques détenus du centre de Turin ont incendié des matelas. La nuit précédente, il y eut également beaucoup de désordre dans le centre, de puissants cris distinctement perceptibles par les habitants des environs. Un détenu est monté sur le toit d’une section.

Nouvel an à Bologne

Encore une révolte au CIE de Bologne via Mattei, le soir du nouvel an aussi : quatre retenus ont tenté de s’évader mais leur action a été bloquée par la police. Deux ont été arrêtés alors qu’ils avaient déjà escaladé les grilles. C’est arrivé vers 1h00 et le calme est revenu vers 2h30. Il y a aussi eu des lancés de projectiles contre la police.

Nouvel an à Turin

Profitant du désordre de la fin d’année une quarantaine de solidaires ont manifesté devant le centre de Turin, à l’aide de pétards, bombe carta, fumigènes et tambours. A l’intérieur du centre les détenus ont répondu  vivement, à tel point que la police fut contrainte d’intervenir.

Nouvel an à Gradisca

31 décembre à haute tension au CIE de Gradisca. Une grosse révolte a éclaté dans le centre la nuit de la saint-sylvestre. L’émeute a eu pour protagonistes près de 20 détenus, dont 7 ont réussi à s’évader.
Il n’y a malheureusement pas eu de blessés chez les flics malgré les nombreux objets lancés. Visiblement l’action avait été organisée dans les moindres détails par les détenus.
L’alarme s’est déclenchée vers 20h30 lorsqu’un groupe de détenus a réussi à sortir des chambres et à se faire la belle.

Apparemment ils l’ont fait sans résistance de la part des matons, en effet, les retenus s’étaient procurés les clefs des portes qui séparent la cafétéria de l’entrepôt. Les autres portes ont été forcées à coups de pied. Une fois dans l’entrepôt les révoltés se sont armés de gros cadenas et d’extincteurs. D’autres s’étaient préparés à l’émeute depuis des jours. Ils avaient rempli de pierres et de sable des bouteilles en plastique pour les lancer sur les flics. Une fois dans la cour la tension a atteint son paroxysme. Policiers, militaires et carabinieri qui surveillent l’extérieur ont été visés par des objets lancés par les retenus. Certains ont vidé les extincteurs sur les flics. Deux flics de la garde des finances ont été emmenés aux urgences pour intoxication.

Profitant du bordel 7 détenus ont réussi à escalader le dernier mur d’enceinte et à disparaître, sans laisser de traces, dans la nature avoisinante. Mais la tension a persisté, et il a fallu encore plusieurs heures pour mater la révolte. Le syndicat de flics/matons qui officie dans le centre a déclaré que c’était le règne de l’anarchie.

librement repris de macerie

[Turin] Révolte au CIE : Flambé – 14 décembre 2012

Flambé

Deux semaines après la révolte du 30 novembre, une nouvelle mutinerie a réchauffé les cœurs des prisonniers du centre de rétention de Turin. Encore une fois, il a suffi d’un petit salut pour allumer la mèche: quand, dans l’après-midi, une trentaine de solidaires se sont rassemblés à l’extérieur du centre, certains détenus des sections rouge, bleue et violette sont montés sur les toits et ont incendié plusieurs matelas. Des ballons de foot et des balles de tennis ont été lancés par dessus des murs, un petit brasier a été allumé sur le trottoir. La police est intervenue avec des canons à eau pour éteindre les incendies sur les toits et, à ce qu’il paraît, un mur à l’intérieur de la section rouge a été abattu, de quoi faire des pierres à jeter sur les flics. L’émeute terminée, la police a perquisitionné la section rouge à la recherche de morceaux de verre (ou de bananes renforcées?) et, peu après, dans la section bleue, des retenus ont lancé des bouteilles sur les matons.

 source macerie

Un texte à (re)lire : L’incendie

En ce moment où la flamme de la révolte se ravive en Tunisie comme en Égypte, un texte à (re)lire publié dans la revue anarchiste Subversions. 

L’incendie

ça commence par une énième étincelle et soudain elle met le feu aux poudres. ça s’enflamme en Tunisie puis en Egypte, puis au Maroc, en Algérie, en Libye et en Syrie… et l’immense feu de joie qui embrase toute la région imprime dans les cœurs des révoltés, partout dans le monde, cette affirmation : rien n’est impossible.

Les dirigeants des démocraties occidentales, eux, auraient bien aimé que rien ne soit possible. Ou, en tout cas, limiter le champ des possibles. Après avoir hésité, attendant les mots d’ordres de leurs maîtres, les médias ont tous adopté la même ligne. Face à l’élan insurrectionnel qui leur font craindre un vent révolutionnaire risquant de passer la Méditerranée, ils tentent de récupérer les événements en leur faveur, imposant leur grille de lecture : ce qui se jouerait au Maghreb et au Moyen Orient serait une révolution pour la transition démocratique (bourgeoise libérale).

Il est vrai que les dirigeants européens ne sont pas très rassurés. Jusqu’ici ils s’accommodaient bien de cet arc de pays autoritaires qui formait la frontière sud de l’Union. Ils avaient noué des accords stratégiques comprenant des dimensions économiques, politiques et militaires avec la plupart d’entre eux. Accords où la question de la démocratie à la sauce droit-de-l’hommiste n’était que pure rhétorique. C’est pourtant cette bannière que dirigeants européens et nord-américains agitent en toute occasion pour justifier leur entrée en guerre ou leurs interventions militaires et civiles dans des situations de «crise».

Quand l’Europe parle d’humains, ce sont par exemple cinq milliards d’euros versés chaque année à la Libye en contrepartie desquels Kadhafi s’engageait à arrêter le flux de migrants venu d’Afrique. Concrètement, cela donnait des réfugiés arrêtés en pleine mer par les patrouilles italiennes qui, quand celles-ci ne les coulaient pas, les redirigaient vers la Libye où ils étaient enfermés dans trois camps de mille places en plein désert. Concrètement, c’est aussi actuellement ne pas bombarder la marine militaire de Kadhafi parce que celle-ci servira au futur pouvoir pour continuer la même sale besogne. Le CNT, Conseil national de transition, a d’ailleurs signé le 17 juin à Naples la poursuite de cet accord avec l’Italie s’il parvenait à s’emparer du pouvoir. La construction d’un nouveau camp est d’ores et déjà prévue à Benghazi.

Quand l’Europe parle de démocratie, cela consiste aussi à injecter de l’argent au Maroc pour qu’il fortifie les colonies espagnoles de Ceuta et Melilla sur le continent africain, à coup de barbelés, de miradors et de balles. La démocratie, ce sont des drones survolants les frontières européennes pour faire la chasse aux «clandestins» ; ce sont des appareils qui détectent les battements de cœur pour repérer les migrants qui se cachent dans des camions ou des trains pour pénétrer dans ce modèle de moralité et de civilisation que prétend être l’Europe.

La moralité en Europe, c’est d’appliquer dans la démocratie italienne un permis de séjour à points pour les individus en attente de papiers (selon leur degré de soumission), avec lequel elles intègrent le pays en tant qu’esclaves salariés qui risquent de perdre à tout moment la possibilité d’y rester. La moralité d’une démocratie à la française, c’est de proposer le retrait de la nationalité d’une personne d’origine étrangère quand elle est vaguement reconnue coupable d’avoir attentée à un dépositaire de l’ordre public. La justice à la belge, c’est de couvrir les gendarmes qui ont assassiné Semira Adamu, une femme courageuse et combattante, lors de sa sixième tentative d’expulsion.

La démocratie en Europe, ce sont des dizaines de camps d’enfermement (jusqu’à 18 mois) pour les sans-papiers répartis dans tous les pays. Des camps avec des matons qui frappent et des médecins qui endorment les ardeurs à coups de calmants. La démocratie c’est, selon les préfets, la liberté de manifester devant un centre de rétention, mais toujours à bonne distance des grilles. C’est prétendre que quand les retenus se révoltent, ce n’est pas à cause de leur enfermement, mais parce que des personnes solidaires, de l’autre côté des murs, crient Liberté !

La démocratie en Europe c’est, du jour au lendemain, renvoyer des réfugiés dans un pays considéré la veille comme la pire des dictatures, mais devenu depuis un allié, bien que les conditions réelles n’aient en rien changé pour les pauvres. C’est considérer les immigrés sous l’angle de la rentabilité, et renvoyer ceux qui ne peuvent pas faire valoir une compétence que le capitalisme d’ici juge pressurable à merci.

Il paraîtrait même que la barbarie serait la spécificité des régimes dictatoriaux, quand, ici comme partout, les États enferment les révoltés par dizaines de milliers, mutilent et tuent au besoin ceux qui sont trop récalcitrants ou inutiles (par le suicide en prison, l’esclavage salarié et ses «accidents», ou encore la gestion de la pacification sociale à travers les stupéfiants dans les quartiers pauvres).

Alors, c’est donc ça le modèle démocratique dont les dirigeants se vantent, celui qu’ils voudraient exporter ailleurs pour préserver leur pouvoir ? Eh oui ! Et puisque c’est bien ça, alors débarrassons-nous en au plus vite.

Au début, les révoltes qui grondent de l’autre côté de la Méditerranée étaient présentées comme l’œuvre de casseurs, de désœuvrés ou de terroristes, avant de devenir en quelques jours de louables aspirations à une transition démocratique. Cela permettait, dans le même temps qu’une reprise de contrôle de la situation, de se présenter une fois de plus comme le modèle à atteindre. Et au passage, cela voudrait balayer la perspective d’une contamination des révoltes vers le continent européen. Comment en effet imaginer se révolter ici, quand on nous serine partout que des gens sont prêts à se faire tuer là-bas pour avoir notre chance ?

Là où la dictature ne laisse aucune place à sa remise en cause, la démocratie non plus, mais de manière plus fine. Toute sa force réside dans la place qu’elle laisse à l’expression du mécontentement, de la marge, à partir du moment que c’est elle qui définit les limites et les formes acceptables. En effet, tant que les contestations n’en viennent pas à le cibler en tant que tel, tant qu’elles acceptent les règles du jeu qu’il leur fixe, l’autorité et le pouvoir de l’État ne s’en voient que renforcés et légitimés. L’art de tout pouvoir démocrate réside dans sa capacité à s’assurer de l’inoffensivité des contestations en les intégrant avec l’aide de ses médiations (syndicats, religieux, élus, associations, grands frères).

C’est quand la mascarade ne prend définitivement pas, quand la protestation se mue en une révolte qui pousse le bouchon un peu plus loin (la grève devient sauvage, une loi n’est plus à modifier mais à retirer, une nuisance n’est pas à expertiser mais doit disparaître d’un territoire donné), que les États démocratiques usent de l’art subtil de la récompense comme de la coercition, de la carotte comme du bâton. Et tout revient alors souvent dans l’ordre, au prix de quelques sacrifices d’un côté, d’os brisés et d’années de prison de l’autre.

Restent alors ceux qui dépassent les bornes (en posant un pourquoi subversif et plus seulement un comment), ceux qui refusent le dialogue, ou encore tous ces indésirables qu’il n’est pas souhaitable de faire participer au paradis marchand et progressiste de la démocratie. Ceux-là sont regroupés dans des figures isolées socialement (le délinquant forcément violent, le terroriste forcément sanguinaire, le parasite forcément chômeur…), présentées comme responsables des imperfections du fonctionnement de la société. Le terrain étant prêt, une répression ciblée peut ensuite s’abattre sur ces catégories de la population créées puis alimentées par le pouvoir. Cela permet de justifier le développement d’outils de contrôle d’abord contre ces figures-là, avant de les généraliser à l’ensemble de la population (papiers d’identité, empreintes digitales et génétiques, biométrie,…).

Plus généralement à tous les niveaux, lorsque l’individu refuse de se plier, de se résigner à accepter les lois étatiques et autres morales sociales qui ne lui conviennent pas et ne reprend pas le droit chemin démocrate, la menace de l’enfermement reste une arme de choix. Les hôpitaux psychiatriques pour ceux qui ne rentrent pas dans les normes. Les prisons pour mineurs et les taules pour ceux qui remettent en question le règne de la propriété privée, pour ceux qui sont trop rétifs à l’autorité.

Mais qu’est-ce que ce monde qui parle de liberté sous la menace de l’enfermement ?

Aucun parti politique ne mettra jamais fin aux camps pour migrants tant qu’il existera un intérêt économique et social à les maintenir en place (l’abaissement général du coût du travail par le chantage à l’expulsion de la main d’œuvre étrangère d’un côté, l’existence des frontières de l’autre). Parce qu’au-delà de la forme plus ou moins autoritaire de la domination (dictature d’un seul, d’un petit nombre ou d’une majorité), le capitalisme n’a pas de visage humain.Tant que nous croirons à la fable de la démocratie et des droits de l’homme, tant que nous déléguerons notre capacité de décision et d’action aux politiciens (élus ou récupérateurs issus des luttes), nous nous réduirons nous-mêmes à une vie de soumis, vide et absurde.

Ces derniers mois pourtant de l’autre côté de la Méditerranée, l’exemple nous a été donné que rien n’est impossible. Dans des zones où la répression policière du pouvoir guettait à chaque coin de rue et parfois jusqu’au sein de chaque famille (sur le modèle du capitalisme d’Etat de l’Est), une partie de la population a repris la rue, les effigies des dirigeants ont jonché le sol, des commissariats ont brûlé, des prisons et des villas de riches ont été attaquées, des entrepôts ont été pillés…

Sur le sol même du continent européen, en un mois, ce sont également trois camps pour migrants qui ont presqu’entièrement brûlé. À Gradisca, en Italie, depuis des semaines les sans-papiers sabotaient, incendiaient et détruisaient leur cage. C’est alors que sont arrivés une cinquantaine de Tunisiens que l’Italie s’est empressée d’enfermer. Il s’en est suivi une escalade d’incendies, au point qu’il ne reste plus qu’une cellule valide dans le camp. En Belgique, ceux du centre 127bis ont brûlé les cellules, alors que de l’autre côté des grillages des manifestants criaient «Liberté !». Et tandis qu’ils étaient repoussés dans la cour, l’un d’entre eux a réussi à s’évader. Si les manifestants de l’autre côté des grilles avaient suivi les valeurs de la démocratie, ils auraient sinon repoussé l’évadé dans l’antre de la prison, au moins attendu passivement l’intervention de la police. Mais ils ont fait ce que commande l’élan du cœur, et pas celui du réalisme politique  : ils ont aidé l’évadé à disparaître dans la nature. Dans la nuit, une autre aile du camp a brûlé, ce qui fait deux ailes rendues inopérantes pour des mois. Début mars, c’est aussi le centre de rétention de Marseille que des retenus ont cramé.

Ces gestes de révolte et de solidarité -des deux côtés de la Méditerranée- nous donnent la force de continuer à lutter contre les bavardages et les chausse-trappe de tous ceux qui tirent profit de l’ordre des choses. De la Tunisie à ici, personne ne pourra prétendre enfermer nos rêves d’une liberté démesurée, pour toutes et tous.

Quelques étincelles, 20 avril 2011

[Publié dans SubversionS n°1, septembre 2012, Paris, pp. 30-31]

Deux textes à (re)lire publiés dans Brique par brique, Se battre contre la prison et son monde

Deux textes à (re)lire publiés dans Brique par brique, Se battre contre la prison et son monde [Belgique 2006-2011], Tumult éditions 2012 (tumult.uitgaves@gmail.com)

Une lumière dans les ténèbres… Deux tiers du 127bis incendiés

24 août 2008, un peu après minuit. À huit différents endroits dans le centres fermé 127bis de Steenokkerzeel, des matelas, des poubelles, des draps et des papiers sont incendiés. Le feu se propage très rapidement, les prisonniers reçoivent la permission de sortir des bâtiments, « évacués » comme cela se dit dans le langage des chefs de camp humanitaires. Deux des trois ailes sont consumées par les flammes, la troisième aile subit des dégâts limités. La police érige des barrages et organise des patrouilles mobiles sur un rayon de plusieurs kilomètres autour du centre pour reprendre les éventuels évadés. Effectivement, plusieurs prisonniers essayent de se faire la belle, profitant de la situation confuse, mais l’intervention rapide de plusieurs unités de police anti-émeute serre les possibilités. Au cours de la nuit, quand le feu crépite encore, la police commence les interrogatoires. Des convois sont organisés pour transférer les prisonniers vers d’autres centres fermés. Il est reconnu à contrecœur qu’un nombre inconnu de gens a dû être libéré à cause du fait que les centres étaient déjà pleins à craquer. Jusqu’à aujourd’hui, la Justice n’a pas réussi à accuser quelqu’un de l’incendie.

Ils ont tout fait pour présenter cette destruction quasi complète du centre fermé comme un éclair en pleine journée. Quelque chose qui tombait vraiment du ciel. Ainsi ils ont voulu éviter qu’il devienne clair pour tout le monde que ces incendies coordonnés ne sont que le comble de tout un parcours de révolte et de rébellion. Pas seulement la révolte collective du début de juillet 2008 quand la police anti-émeute a envahi le centre pour prendre et isoler huit rebelles, mais aussi des révoltes individuelles circonscrites et moins circonscrites. Il est important se souligner ceci , car cela montre ce qui pourrait être un possible parcours pour réussir à donner des coups durs à certaines institutions.

Ce n’est que dans la mesure où la révolte individuelle se développe et, à travers ses gestes, remet profondément en question la résignation des autres (la majorité, soyons honnêtes) , que des complicités peuvent se tisser et devenir le fondement de la révolte collective. Et encore, car apparemment quelques individus avec une vision claire de ce qu’ils veulent et qui agissent en conséquence, suffisent pour faire partir en flamme deux ailes d’un centre fermé. Et oui, peut-être cela réjouit beaucoup de prisonniers, mais ça ne signifie nullement qu’ils seraient prêts à le faire eux-mêmes. La résignation se cache parfois aussi derrière les mais qui applaudissent.

C’est un pur moment de joie quand ce que tu désires se réalise. Fatigués d’une « lutte » qui se limite (en grande partie consciemment) à des plateformes de revendications, des manifestations, des négociations avec les prêtres, les autorité universitaires, les politiciens et les fonctionnaires, des grèves de la faim et des actions symboliques, les torches de la détermination et la fermeté de l’action directe éclairent un parcours subversif vivant. Que ceux qui ne veulent plus se résigner à leur condition de prisonniers de ce système, se reconnaissent et s’inspirent en pensée et en acte.

Comme nous l’avons dit maintes fois, l’étouffement d’une révolte réside dans son isolement. Dans son isolement à l’intérieur des murs d’une usine ou d’une prison, à l’intérieur des frontières d’un quartier ou d’une « communauté ». Briser cet isolement n’est possible qu’à travers la diffusion de la révolte qui implique que les matons de ta propre situation ne se sentent plus à la fête, que les barreaux de ta propre cellule souffrent de la fine scie à métaux, que les directeurs qui exploitent et dominent tes faits et tes gestes reçoivent des coups dans leurs gueules.

Texte initialement publié dans La Cavale, correspondance de la lutte contre la prison, n°14, novembre 2008 et repris dans Brique par brique, se battre contre la prison et son monde [Belgique 2006-2011], Tumult éditions, 2012, pp.149-150.

Voyage d’un indésirable à travers les rues et les centres

Une des nombreuses ASBL d’Anvers. Un lieu où beaucoup d’immigrés se rencontrent, où tu peux rencontrer beaucoup d’immigrés [1]. Cependant, tu n’y trouveras pas beaucoup de femmes et tu ne pourras pas aller voir derrière la porte fermée du bar. Des sans-papiers qui y travaillent pour du pain et un toit. Ça s’appelle une faveur de la communauté. Et il ne s’agit pas seulement de cuisiner, de nettoyer, de servir… Non, le deal c’est que tu abrites les petits trafics, et ceux plus grands déjà. Les petits commerces de personnes qui essaient de négocier quelques affaires d’origine obscure, les grands commerces de drogues en tous genres. C’est là que j’ai rencontré Abdel. Il y travaillait la journée et dormait la nuit sur un matelas dans la cave. Le patron lui avait offert cette chance parce que « des gens originaires de la même région doivent s’entraider ». Que toute cette aide enrichisse certains et maintienne les autres dans la misère, on l’accepte silencieusement.

Un jour, c’en fut trop. Abdel ne pouvait plus accepter qu’on deale de la cocaïne lorsqu’il était derrière le bar. Après une dispute avec le patron, il s’est cassé. Le patron a toutefois gardé ses papiers. La main invisible des privilégiés des communautés d’immigrés garde beaucoup de prolétaires sous son emprise.

Refuser une main tendue n’est guère apprécié. Dans beaucoup de lieux, Abdel n’était plus le bienvenu mais, heureusement, il y a pas mal d’exclus de la communauté qui se retrouvent et essaient de survivre ensemble dans la jungle de la domination. Parce que louer était financièrement impensable, Abdel s’est mis à squatter avec quelques autres.

Pour survivre, il fallait voler. J’ai toujours trouvé très inspirant que des personnes à qui il reste si peu de perspectives gardent encore une certaine éthique. Pas de drogue et ne pas voler d’autres pauvres. Peut-être suis-je naïf, et que ça a plus à voir avec le fait que voler les pauvres ne rapporte pas grand-chose… Quelques mois plus tard, l’inévitable est arrivé. On en avait souvent discuté. Il nous semblait inévitable que le long bras de la loi intervienne à un moment donné. Curieusement, cette conscience dissipe une partie de la peur de prendre des risques.

Abdel a pris 18 mois pour vol dans des voitures et deux cambriolages dans des villas. Les portes de la prison se sont à nouveau ouvertes pour lui. Il a retrouvé quelques amis, mais la prison lui pesait tout de même. La pression des clans est grande et te met le dos au mur. Soit tu baisses la tête et tu te caches, soit tu continues ton chemin la tête haute et tu risques un couteau dans le ventre. Abdel a essayé autant que possible d’éviter la confrontation. Il a rencontré quelques personnes qui ne venaient pas de sa communauté et il a essayé, comme il l’avait fait au dehors, de survivre avec eux l’enfer de la prison.

Parce qu’il parlait à peine la langue exigée, il ne savait guère pourquoi il avait été condamné. Il ne savait que le nombre de mois qu’il avait à purger. La routine de la prison n’a pas besoin des mots, elle s’explique par elle-même. Quelques mois plus tard, il était transféré vers une prison lointaine pour purger ses derniers mois.

Il aspirait tellement à être de nouveau dehors. Pas seulement pour pouvoir bouger de nouveau, mais aussi pour entamer une nouvelle étape de sa vie. La prison est une école pour beaucoup de choses. En dépit de la mentalité de clan qui va en grandissant et de la décadence de l’ancienne éthique des délinquants, beaucoup de connaissances et expériences y sont encore partagées… et puis, l’inévitable venait de tomber du ciel : condamné à 18 mois, mais pas en possession de papiers valables. Le résultat de cette addition signifiait des mois supplémentaires dans un centre fermé [centre de rétention]. Administrativement.

Abdel m’a raconté qu’en prison, au moins c’était clair. Autant de mois à purger et après t’es dehors. Un centre fermé, par contre, repose sur l’incertitude permanente quant au temps qu’ils vont te garder. Personne ne peut te dire si tu ressortiras de nouveau dans la rue ou si tu seras déporté. Cette terreur permanente est l’arme la plus puissante entre les mains de la direction. Ils propagent l’illusion que celui qui se comporte bien a plus de chance d’être libéré.

La rage est grande dans les centres fermés. Presque tout le monde veut s’échapper. Avec sa connaissance en matière de « Sésame ouvre-toi », il a proposé un plan d’évasion à quelques autres de son bloc. Depuis la salle de récréation, ils devaient forcer une porte qui donnait sur les prairies autour des murs. La dernière chose à surmonter était la clôture, mais ce n’était pas un si grand problème. Dans le centre, tout le monde sait parfaitement comment couper le grillage. Une ligne horizontale et une verticale avec une pince sont suffisantes pour le plier et s’y glisser. Ça ne prend même pas trois minutes. De plus, les gardiens ne sont pas censés te poursuivre une fois que t’as passé la clôture ; pour cela, ils appellent la police.

Pour camoufler le bruit qu’ils faisaient en défonçant la porte, quelqu’un devait jouer de la guitare. C’est drôle que le centre pense que quelque chose comme une guitare puisse calmer les gens – leurs esprits autoritaires ne pourront jamais comprendre que le désir de liberté peut transformer n’importe quel objet en arme. À un moment donné, un gardien se dirige vers la porte. Abdel lui demande du feu. Dans le centre fermé, les briquets sont interdits (un briquet permet de mettre le feu aux cellules…). Entre-temps, les autres travaillent sur la porte. Tout commence à grincer. Il faut se grouiller maintenant. Les nerfs en boule, quelqu’un ne tient plus et donne un coup d’épaule contre la porte. La porte s’ouvre à grand bruit et une dizaine de prisonniers se précipite dehors. Abdel voit son plan lui filer sous le nez. Pendant que les autres font leur chemin vers la liberté, Abdel essaie encore autre chose. Il arrive jusqu’au toit et veut s’y cacher quelques heures avant de descendre dans la nuit et de s’évader. Une heure plus tard, il est découvert par les gardiens. Une dizaine d’autres ont par contre réussi de s’échapper.

À partir de ce moment, Abdel saisit chaque occasion de se battre contre le centre fermé. Après une confrontation avec un gardien, il gagne la confiance de quelques autres prisonniers. Quelques jours plus tard, ils assouvissent leur colère et détruisent tout un bloc. Quelques cellules partent en flammes. Après deux semaines de cachot [mitard], les insurgés sont de nouveau remis dans les sections normales.

Quelques scies à métaux ont suffit à rendre possible un nouveau plan d’évasion. Cette fois-ci, il ne fallait pas laisser tant de choses au hasard. Abdel ne met que quelques personnes au courant. Jour après jour, ils scient quelques millimètres de barreaux. Jusqu’au jour où un autre prisonnier a eut vent du plan. Pour se mettre dans les bonnes grâces de la direction, il dénonce les barreaux sciés. Quelques heures plus tard, tous les barreaux du centre sont examinés et ressoudés…

Le temps commence à presser. Un ambassadeur a délivré un laissez-passer pour Abdel. Une première tentative de déportation échoue…

Après une énième mort dans une cellule d’isolement du centre fermé, une émeute éclate. De par son expérience, Abdel connaît les points faibles du système. Toute une salle part en flammes. Différentes cellules sont détruites. Les exhortations d’Abdel ne passent pas inaperçues et il est remis en isolement. Aucun contact avec les autres. La seule communication encore possible, c’était la révolte. Abdel a détruit la cellule d’isolement dans l’espoir que ce signe de résistance pourrait en inciter d’autres. Mais c’est le silence qui a suivit…

À ce moment là, tout s’est accéléré. La machine à déporter n’est pas aussi arbitraire que certains de ses « critiques  » le prétendent. Pour les révoltés, il y a toujours une place dans l’avion. Une semaine plus tard, Abdel a été déporté sous escorte policière.

Pour que ce parcours de rébellion puisse inspirer et inciter des complices anonymes. Comme Abdel le disait déjà, le vrai problème c’est l’isolement de la rébellion entre quatre murs. Si la révolte s’étendait vers l’extérieur, d’après lui tout serait possible. Ses derniers mots en Belgique ont été : « S’ils pensent qu’ils ont des problèmes avec moi ici dedans, ils verront bien quand je sortirai ».

Un ami d’Abdel,
Juin 2008.

[1] Les « asbl » sont des structures associatives sans but lucratif. Presque tous les cafés « d’immigrés » à Anvers et ailleurs en Flandre adoptent ce statut juridique.

Texte initialement publié dans La Cavale, correspondance de la lutte contre la prison, n°13, juillet 2008 et repris dans Brique par brique, se battre contre la prison et son monde [Belgique 2006-2011], Tumult éditions, 2012, pp.143-145.

Nouveau blog « Feu au centre de rétention janvier – juin 2008 »

« Les textes ci-contre sont des morceaux de conversations avec les retenus du centre de rétention de Vincennes, qui racontent 6 mois de luttes collectives et de révoltes ainsi que la solidarité qui s’exprimait à l’extérieur.
Suite à l’incendie le 22 juin 2008, ils ont été compilés dans un livre « Feu au centre de rétention, des sans-papiers témoignent » dont les bénéfices ont été reversés aux retenus inculpés (avocats, mandats…). »

https://feuaucentrederetention.noblogs.org/

Marseille : Incendie au centre de rétention du Canet + chronologie – 1er septembre 2012

Incendie au centre de rétention du Canet à Marseille

Samedi 1er septembre, à 21h, le feu est mis à des matelas dans la salle commune du premier étage du centre de rétention. Le circuit électrique de la salle commune brûle entièrement, faisant exploser la télévision collective. En entendant crier « au feu », les retenus des autres blocs empilent des matelas à l’intérieur des salles communes, mais la police intervient assez vite. Les retenus du premier étage sont évacués et entassés dans une salle commune du rez-de-chaussée.  Les pompiers arrivent et maîtrisent l’incendie qui ne se propage pas aux autres étages, mais le bloc qui a pris feu est inutilisable. Une enquête est immédiatement ouverte et après avoir visionné les caméras, les flics embarquent un retenu, probablement en GAV. Un autre retenu est mis à l’isolement.  Les retenus de l’étage qui a pris feu sont dispersés dans les cellules des autres blocs, ils se retrouvent à cinq ou six dans des cellules prévues pour deux.

Cet incendie s’inscrit dans un contexte de tension au sein du centre. Depuis cet été, les incidents s’enchaînent : refus d’embarquement, destructions de matériel, résistances individuelles et collectives. Le centre est surpeuplé, la police insulte et tabasse quotidiennement, les retenus qui résistent aux expulsions sont ligotés et bâillonnés au scotch,
la bouffe est périmée, les retenus sont gavés d’anxiolytiques, etc. Depuis cet été, la lutte à l’intérieur trouve un écho à l’extérieur : prises de contacts avec les retenus, relais de l’information, parloirs sauvages, rassemblements…

D’incidents en incendie, les retenus manifestent une nouvelle fois leur refus de l’enfermement. Malgré ça le centre n’est toujours pas fermé et continue de se remplir.
Continuons à l’extérieur à relayer la lutte à l’intérieur et à exprimer notre solidarité par tous les moyens possibles….

Rassemblement devant le centre de rétention du Canet à Marseille le 8 septembre à 18H !

Mardi 28 août

Pendant le repas du soir, les retenus énervés de manger toujours la même merde (nourriture périmée et non hallal) décident de foutre le bordel dans le réfectoire. Ils jettent la nourriture par terre et dans la gueule des quelques flics présents lors du repas. Très vite d’autres flics arrivent, armés de matraques électriques qu’ils utilisent sur au moins un retenu. Les retenus n’ont pas le choix et, à contre cœur, ils nettoient.

Mercredi 29 août

À 3h du matin un retenu est réveillé par les flics qui lui ordonnent de faire son sac et l’embraquent pour une expulsion vers la Tunisie.

Un retenu tente de se pendre après avoir appris la décision de son expulsion. Il est conduit à l’hôpital et ramené au CRA quelques heures plus tard.

Samedi 1 septembre

Tentative d’expulsion vers la Turquie. Arrivé dans l’avion le retenu refuse d’embarquer. Il est ramené au centre.

Pendant le repas de midi, les retenus s’aperçoivent que sur l’emballage des barquettes, il y a une étiquette collé sur la première qui est déjà périmé de quelques jours, du 28/08/2012, la seconde indique une péremption le 02/09/2012. Les retenus en colère refusent de manger et jettent toute la nourriture par terre et dans la gueule des flics. Sous la menace, ils sont encore contraints de ramasser.

À 21h, le feu est mis à des matelas dans la salle commune du premier étage. Le circuit électrique de la salle commune brûle entièrement, faisant exploser la télévision collective. En entendant crier « au feu », les retenus des autres blocs empilent des matelas à l’intérieur des salles communes, mais la police intervient assez vite. Les retenus du premier étage sont évacués et entassés dans une salle commune du rez-de-chaussée. Les pompiers arrivent et maîtrisent l’incendie qui ne se propage pas aux autres étages, mais le bloc qui a pris feu est inutilisable. Une enquête est immédiatement ouverte et après avoir visionné les caméras, les flics embarquent un retenu, probablement en GAV. Un autre retenu est mis à l’isolement. Les retenus de l’étage qui a pris feu sont dispersés dans les cellules des autres blocs, ils se retrouvent à cinq ou six dans des cellules prévues pour deux.

Dimanche 2 septembre

Audience du JLD.

Des personnes sont présentes en soutien à un retenu.

Quatre retenus passent devant le juge. Pour tous le juge ordonne la prolongation de la rétention pour vingt jours. L’avocat commis d’office est catastrophique, il menace les personnes en soutien de faire appel aux keufs s’ils lui parlent mal !

Les flics tentent de nouveau d’expulser le retenu qui a résisté samedi à son expulsion vers la Turquie. Il résiste encore une fois et est encore une fois reconduit au centre.

 Lundi 3 septembre

Arrivés de renforts policiers dans le centre, les effectifs sont doublés.

Les flics procèdent à des interrogatoires de tous les retenus du premier étage ainsi que de quelques retenus du rez-de-chaussée.

À 10h, des personnes vont visiter un retenu au parloir. À leur arrivé au centre, elles constatent une forte présence policière. Elles sont minutieusement fouillées.

À 15h, ces mêmes personnes retournent au centre pour visiter le même retenu. À l’entrée, un flic affirme qu’un autre retenu, « ami » du retenu que ces personnes sont venues voir, les attend pour un parloir. Les personnes répondent qu’elles ne comprennent pas de quoi il s’agit, et insistent pour voir la personne qu’elles sont venues visiter. Contrairement au matin même elles ne sont pas du tout fouillées. Par contre, à la sortie du parloir, on leur demande de patienter le temps d’une « vérification » sur le retenu visité. Une sorte de piège, quoi !

Témoignage d’un ancien retenu de la prison pour étrangers de Palaiseau – 28 mars 2012

Depuis plusieurs semaines les sans-papiers prisonniers au centre de rétention de Palaiseau multiplient les mouvements de protestation et de révolte que ce soit sous la forme de départs de feu, d’auto mutilations ou d’affrontements avec la police.
Après avoir été ballotté de Palaiseau à Vincennes suite à un incendie survenu le jeudi 15 mars, puis retransféré à Palaiseau, un retenu raconte le dernier mouvement de révolte qui a eu lieu dans ce centre et pour lequel il a été transféré vers un autre centre, celui de Plaisir.
Liberté pour toutes et tous !

 »La première fois, j’étais au centre là, et y’a beaucoup de gens qui souffrent là-bas. 45 jours pour les gens c’est dur, ils souffrent. Nous on sait pas, on fait ça juste pour voir la liberté tu vois… Et la police là-bas c’est dur avec eux, dès que tu parles avec les matons…

Les repas pour manger ils sont amenés le jour où ils périment puis tu les manges.

L’autre jour y’a un mec là-bas il a brûlé sa chambre et tout. On a tous été transféré au centre de rétention de Vincennes.
Celui qui paye un avocat il sort. Je sais pas si c’est dans la loi que quand tu payes un avocat tu sors, mais quand t’en payes pas tu sors pas. Tu fais les 45 jours. Y’a un gars ils ont trouvé son passeport et tout, mais ils l’ont pas renvoyé, il a payé un avocat, il l’a payé 1700 euros, il est sorti. Mais les autres là ils ont même pas de carte d’identité, y’a même pas un papier qui dit, et ils partent au bled, au minimum ils restent 45 jours.

[Il est retransféré entre temps au centre de Palaiseau]

Y’a des gars ils ont crié pour la liberté dans le centre, pour les papiers et tout, on a crié pour la liberté. Et ils sont venus les policiers à… je sais pas genre 24, je sais pas. Ils ont montré une chienne sur nous direct. Là j’parle de moi, mais j’ai même pas touché un policier avec la main. On a crié pour la liberté et tout, et là ils ont ramené les chiens du centre. Après ils ont montré des retenus direct, ils ont dit « viens-toi, viens-toi ! », direct ils ont menotté les retenus. Moi j’étais dans ce groupe là. Après ils ont emmené au commissariat en face du centre, on a attendu là-bas, et moi j’ai raconté tout ça, les faits et tout. Après ils nous ont mis dans une salle, ils ont mis à poil et ils ont dit « y’a pas de caméras ici ». Après ils sont venus des civils de la police et je leur ai dit « je vais où ? », ils m’ont dit « tu es transféré ». Après il m’a poussé comme ça, après il m’a poussé très fort, je lui ai dit « doucement », j’étais menotté. Moi et mes potes, menottés. Après il m’a accroché les pieds, il m’a fait tombé par terre, après il m’a écrasé la tête avec son pied, après il m’a donné deux coups de pied dans les côtes là, après il m’a tapé sur mon épaule. Comme ça. Après ils ont amené une voiture, je sais pas ce qui est arrivé aux autres, moi j’ai été transféré. Le chef il a mis en garde-à-vue, après je sais pas peut-être il a été jugé. Normalement c’est ça, les autres ils ont été en garde à vue. Moi j’ai été transféré, je sais pas ce qui se passe là-bas.
Moi j’ai demandé depuis que je suis venu ici : « médecin, médecin, médecin ». Y’a personne qui fait rien. Après j’ai parlé avec l’infirmière ici l’après-midi et elle m’a dit « demain tu passes devant le médecin », et ça fait 24h déjà et il est pas venu. Y’a personne qui veut m’entendre ici. Même ils ont pas de certificat pour le jugement que j’ai la semaine prochaine, c’est comme ça.

Depuis que le centre a brûlé la dernière fois, c’était le 15, ils ont libéré un qu’était là-bas, l’autre ils l’ont transféré à… je sais pas, Roissy. Et moi j’ai été transféré ici pour pas dire aux journalistes qu’est-ce qui se passe et tout. Moi je suis là. Ils ont laissé personne là-bas pour pas qu’ils puissent raconter.

Je souffre à mon épaule, mais personne qui s’en soucie. J’ai parlé avec les chefs ici : « Vous êtes là, t’es transféré, c’est pas mon problème… Attendez le médecin, qu’il passe demain, parce que y’a pas de médecin tous les jours ici au centre. » Y’a que l’infirmière et elle fait rien.

Moi j’ai été transféré hier dans le 78. Normalement on est 15, 16. Là-bas à Palaiseau j’crois on était 12 ou 13. Moi j’suis au centre de rétention de Plaisir. Ca fait 18 jours au total que je suis retenu. J’ai fait le recours, mais j’ai pas un avocat bien, c’est pour ça, j’ai un avocat d’office.

J’ai vu l’association France Terre d’Asile, ben normal ils m’aident pas beaucoup. Y’a la police ici, ils travaillent ensemble, il aident pas les gens, ils travaillent avec les policiers. Tu parles avec eux, tu racontes ton histoire et ils te disent « Ramenez votre passeport ou votre carte d’identité ». Ca c’est pourquoi ? Pour t’aider ? Pour mettre un laisser-passer ? Tu vas où là, dans quel pays ?  »