Sans Papiers Ni Frontières

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Contre les frontières et leurs prisons

[Marseille] Manif contre la traque des pauvres – 16 mars 2013

Marseille : Manif contre la traque des pauvres – 16 mars 2013

Rendez-vous 16 heure porte d’Aix

Parqués dans des appartements pourris, expulsés de nos logements et de nos quartiers, exploités dans des boulots sous-payés, traqués par les flics et les caméras, enfermés dans des prisons et centres de rétention, humiliés à la pref’, à pôle emploi et à la CAF… Y’en a marre de baisser la tête. Le quotidien est une lutte et seul je perds… Alors descendons dans la rue le 16 mars pour nous battre contre la traque des pauvres.

Pour continuer à nous exploiter, à s’enrichir sur notre dos en nous balançant des miettes de plus en plus maigres, le système capitaliste nous divise en nous montant les uns contre les autres.

Plus nos conditions de vie se précarisent et plus on nous ressert la soupe du « c’est la faute à »…. toujours plus pauvre que soi. Alors on trouve chacun son étrangère, son chômeur, son RSAste, sa fraudeuse, son Rom… Enfin bref, celui qui galère trop et qui nous pique nos miettes, notre bouc émissaire. Pourtant ce sont leurs intérêts qui sont en jeu lorsqu’ils nous divisent et nous précarisent. Dans le contexte de crise que nous vivons, les offensives contre les pauvres vont continuer de pleuvoir.

A Marseille, plus belle la ville « se rentabilise » et « se sécurise », et ce sont les pauvres qui ramassent comme toujours. La mairie, l’Etat et leurs amis du patronat organisent la « restructuration » de nos quartiers, en clair leur destruction. Ils construisent une métropole où les liens qu’il nous reste pour survivre par l’entraide et la débrouille sont passés au rouleau compresseur. Ils nous parquent dans des ghettos de plus en plus loin et construisent des quartiers pour riches, des musées et des capitales européennes de la culture, en virant les pauvres de Noailles, la Joliette, la Belle de mai, les Crottes, La Busserine, St Barthélémy… Marseille devient la ville où on ne veut plus nous voir traîner.

Alors faire du bruit dans ces rues prend tout son sens. Parce qu’être solidaires c’est comprendre que nous avons les mêmes intérêts contre ce système, c’est se battre contre le contrôle et la répression, c’est lutter contre les séparations, celles qui font que les pauvres s’entretuent pendant que la domination s’étend. Rendez-vous le 16 mars porte d’Aix à 16h (départ 17h). Apportez vos casseroles et sortez vos pétards. Et bim ! Parce qu’il y en a marre !

الدعوة لاحتجاجات في 16 مارس ضد مطاردة الفقراء

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D’une prison à l’autre…

compte rendu de l’audience d’appel

rendu du 2 avril : un an de prison pour t’enlever le goût de la liberté.

D’une prison à l’autre…

Le 16 décembre 2012, cinq personnes tentent de s’évader du centre de rétention de Palaiseau. Quatre vont y parvenir mais la cinquième personne, Ibrahim, va rester dans les mains de la police qui le passera à tabac. Il est placé en garde-à-vue puis déféré devant un juge deux jours plus tard accusé d’avoir ceinturé un flic pour lui voler un badge magnétique qui a permis aux autres de se faire la belle. Il est ensuite incarcéré en préventive à Fleury-Mérogis jusqu’au 18 janvier 2013, jour du jugement où il est condamné à deux ans de prison ferme et à verser 1200 euros à deux flics qui se plaignent de violence. En centre de rétention, l’évasion n’étant pas un délit, les flics et les juges cherchent donc à charger sur d’autres chefs d’inculpation.

Ibrahim se trouve maintenant incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis. Il n’a pas fait appel de la condamnation. Quand on est isolé, étranger et qu’on ne parle pas français, sans avocat, il est quasiment impossible de comprendre qu’on a dix jours pour faire appel. La justice écrase d’autant plus que l’on est pauvre et sans papiers.

D’une taule à une autre, de la prison pour étrangers à la maison d’arrêt, le chemin est tout tracé, et dans les deux sens. Le pouvoir profitera toujours des révoltes, des tentatives d’évasions, des refus d’embarquement, pour enfermer toujours plus les récalcitrants. Et inversement, quand on sort de prison et qu’on est sans papiers, ce qui nous attend c’est dans la plupart des cas, le centre de rétention et l’expulsion.

Quand on est enfermé dans un centre de rétention, quand tous les recours juridiques sont épuisés et quand s’annonce l’expulsion, la seule alternative c’est l’évasion et la révolte. C’est pourquoi ces histoires se répètent : quelques jours avant l’évasion de Palaiseau, sept personnes se sont échappées du centre de rétention de Vincennes, on espère qu’ils courent toujours. A Marseille, en mars 2011, des retenus ont mis le feu à la prison pour étranger du Canet. Depuis, deux personnes sont sous contrôle judiciaire après être passées par la case prison, dans l’attente d’un procès.

Pour Ibrahim comme pour ceux de Marseille, il est important d’être solidaire avec celles et ceux qui se révoltent pour leur liberté, qu’ils soient innocents ou coupables. Car tant qu’il restera des prisons, des papiers et des frontières, la liberté ne restera qu’un rêve.

Feu à toutes les prisons !
Liberté pour toutes et tous !

Pour ne pas laisser Ibrahim isolé face à la prison et à la justice, il est possible de lui écrire :
Ibrahim El Louar
écrou n°399815
Bâtiment D4 – MAH de Fleury-Mérogis
7 avenue des Peupliers
91705 Sainte-Geneviève-des-Bois

Des mandats lui sont envoyés. Si vous voulez y contribuer vous pouvez envoyer de l’argent à Kaliméro, caisse de solidarité avec les inculpés de la guerre sociale en cours. Le n° de compte pour faire un virement : 102780613700020471901 Clé 07.

Si vous voulez envoyer des vêtements ou des colis, ou pour tout contact, il est possible d’envoyer un mail à : evasionpalaiseau@riseup.net

tract-duneprisonalautre-A4-pdf

trouvé sur indymedia nantes

evasion

Traduction en italien

Traduction en anglais

Traduction en grecque

Traduction en allemand

[Turin] Rassemblement devant le centre samedi 26 janvier 2013

Le froid s’arrête…

Dans les nuits de dimanche 13 et de lundi 14 janvier deux grosses révoltes éclatent au centre de rétention de Turin, une prison pour sans papiers.

Des prisonniers montent sur les toits et des matelas sont incendiés pour protester contre le froid et l’extinction des chauffages.

La police use de gaz lacrymogènes et à l’aube, mardi 15 janvier, elle perquisitionne toutes les sections tabassant ceux qui étaient montés sur les toits ou qui n’arrivent pas à se lever du lit.

Jeudi 17 janvier une douzaine de prisonniers sont transférés d’urgence le plus loin possible, au centre de rétention de Trapani en Sicile.

26 janvier 2013 – 16 heures – rassemblement devant le centre de Corso Brunelleschi

…Quand le feu s’allume

 

source : macerie

[Marseille] luttedecrasse#01 – janvier 2013

luttedecrasse#01

pour la fermeture des centres de rétention et contre le monde qui les produit

janvier 2013

luttedecras01

Télécharger le numéro

Sommaire :

Un centre de rétention…

Présentation de la brochure « la croix-rouge collabore aux expulsions »

Expulsions et évasion au cra du canet

Propos d’une retenue au centre du Canet à Marseille

Manif, révoltes et évasions au centre de rétention de Vincennes

Au centre de rétention de Turin

Brèves : Tunisie, Italie

Quand ils nous entretuent

Témoignage sur l’expulsion du campement de St-Antoine

Appel à manifester le 15 déc contre la traque des pauvres à Marseille et ailleurs

Et bim !!! Parce que y’en a marre

Un récit de la manif contre la traque des pauvres

Centres de rétentions et politiques migratoires ou le dessous des cartes

Sans papiers ni frontières sur radio galère (88.4FM) – MIA Marseille Info Autonome – Haine des chaînes

MANIFESTATION CONTRE LA TRAQUE DES PAUVRES À MARSEILLE ET AILLEURS, LE SAMEDI 16 MARS, PORTE D’AIX

luttedecras@riseup.net

 

 

 

[Paris] Action de solidarité avec les sans-papiers en lutte en Australie – 13 janvier 2013

Action de solidarité avec les sans-papiers en lutte en Australie

Ce dimanche 13 janvier, une dizaine de personnes se sont rendues au musée du Quai Branly, dans le 7e arrondissement, où se tenait une exposition d’art aborigène.

Le tract ci-dessous y a été distribué et une banderole déployée sur laquelle était écrit « L’Australie traque et enferme / Vive la révolte / à Nauru comme ailleurs », entravant pendant un moment l’accès au musée.

Par ailleurs, au 5e étage d’un des bâtiments du musée, l’entrée du restaurant « Les Ombres » (cf. tract) ainsi que l’ascenseur y menant ont été pourris par des jets de mixture pestilentielle (sur la belle moquette !) et tout un arsenal de boules puantes.

Les personnes présentes exprimaient ainsi leur solidarité avec une révolte qui a éclaté le 30 septembre dernier dans le camp d’enfermement de l’île de Nauru, suite à laquelle des personnes devaient passer en procès en Australie le 14 janvier.

[Tract] L’Australie, ses plages, ses cages…

L’Australie est bien connue pour ses plages à surfeurs, ses kangourous, le folklore aborigène. Ce que l’on oublie souvent c’est que les Aborigènes ont été massacréEs par les colons et subissent encore une oppression permanente, parquéEs dans des prisons à ciel ouvert : les « réserves ». Ce que l’on oublie aussi, c’est la traque et l’enfermement qu’y subissent aujourd’hui les migrantEs. La chasse aux indésirables, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, se perpétue sans relâche à travers les siècles.

En août 2012, le gouvernement australien a décidé de réouvrir un camp d’enfermement pour étrangers dans l’État de Nauru, petite île située à 2800 kilomètres des côtes australiennes, moyennant des contre-parties financières et du travail dans le camp pour les Nauruans.
Un PDG d’une entreprise locale s’en est d’ailleurs félicité : « ça va créer des emplois.[…] Quand le centre était encore ouvert, les Nauruans étaient employés comme agents de sécurité, mais aussi aux cuisines. Ce qui a permis à pas mal de Nauruans d’apprendre un métier. » En gros, apprendre à manier la matraque et à la fermer…
Le centre est également cogéré par l’Armée du Salut qui sous prétexte humanitaire collabore à l’enfermement, le cautionne, et se remplit ainsi les poches.

Depuis la réouverture, révoltes, grèves de la faim et manifestations se sont multipliées à l’intérieur du camp, pour exiger la liberté et pour protester contre les conditions de vie particulièrement dures et l’enfermement dont la durée est illimitée. Comment envisager la possibilité de s’évader d’une île, surtout quand presque tous les habitantEs pensent tirer profit de la situation ?

Le week-end du 12 au 13 octobre 2012, plusieurs manifestations ont eu lieu dans le camp de Nauru ainsi que dans celui de Christmas Island contre la durée de traitement des dossiers de demandes d’asile et l’enfermement dans les îles du Pacifique.
Plusieurs actions de solidarité avaient eu lieu, dont une manifestation de 200 personnes sous les murs d’un autre camp australien quelques jours auparavant.

Le 30 septembre 2012, plusieurs détenus ont détruit des tentes, des équipements électriques et une partie de la cuisine à Nauru. Suite à cette révolte, 16 d’entre-eux ont été inculpés au mois de novembre, accusés d’avoir causé 24 000 $ de dégâts. Le 10 décembre 2012, ils sont passés devant le tribunal (sauf deux d’entre eux qui ont été expulsés entre-temps) pour une deuxième audience. Lors de la première, ils avaient refusé de sortir des bus lorsqu’ils avaient appris qu’ils seraient défendus par un avocat qu’ils n’avaient jamais rencontré. La prochaine audience aura lieu le 14 janvier 2013 et, cette fois, ils seront tenus de comparaître. D’ici là ils sont toujours enfermés.

Nous sommes solidaires de ces révoltes, qu’elles aient lieu ici où là-bas, car l’enfermement des étrangerEs ne peut être dissocié du monde qui le génère. Les frontières sont les garantes de la bonne marche de l’exploitation, de nombreuses entreprises s’enrichissent ; tandis que les Etats déversent leurs discours racistes et sécuritaires.

Il fait sens pour nous de rendre cela visible, ici au Quai Branly, dans ce cimetière colonial où chacunE vient admirer les restes des populations pillées et massacrées, et où le groupe d’entreprises Elior fait son beurre dans le resto Les Ombres comme dans les centres de rétention de Metz et de Perpignan où il fournit les repas. Parce qu’en France comme ailleurs, la traque, le tri, l’enfermement, l’expulsion des migrantEs et autres indésirables vont bon train (ou avion) et que plein d’entreprises en tirent profit.

Solidarité avec celles et ceux qui se révoltent contre les frontières et les prisons qui vont avec !
Sabotons les rouages de l’enfermement et de l’expulsion !
Liberté pour tous et toutes, avec ou sans papiers !

source : indymedia nantes

[Tempi di guerra] Quelques textes à (re)lire

Tempi di guerra, correspondances entre les luttes contre les expulsions et leur monde, est un bulletin apériodique paru en Italie entre janvier 2004 et janvier 2006.

 Les textes ci-dessous ont été publiés dans le n°1 (janvier 2004 ), traductions faites par Cette semaine, et publiées dans le n°87 (février/mars 2004).

Les différents numéros du journal sont disponibles sur http://digilander.libero.it/tempidiguerra/ ainsi que quelques traductions d’articles en allemand et en anglais.

Présentation du journal – Appelons un lager un lager – Un printemps à Turin – La protection de la communauté – Chroniques d’actions et évasions 2003 des Cpt – Accueil ?

Présentation du journal

Tempi di guerra est né pour satisfaire une exigence, celle de mettre en correspondance les différentes formes de lutte contre les expulsions et leur monde.

Ce bulletin aura comme angle d’attaque les lager pour clandestins —ceux que la bureaucratie appelle par euphémisme “centres de séjours temporaires et d’assistance”— et tout ce qui les fait exister et fonctionner. Nous trouvons tout simplement répugnant que des êtres humains soient internés uniquement parce qu’ils n’ont pas les bons papiers. Nous savons que, si cette infamie particulière est le produit d’une infamie générale, les responsabilités sont toutefois bien concrètes et spécifiques, et nous ne sommes pas disposés à fermer les yeux. Nous ne voulons pas de lager plus humains, plus colorés, plus respectueux des droits et de la légalité. Nous voulons les voir rasés, un point c’est tout.

À travers les pages du bulletin, nous chercherons à faire parler les idées et les pratiques de cette inimitié sans médiations, dans une perspective qui refuse toute logique institutionnelle et qui met en discussion, avec les lager, le monde qui les génère. Nous fournirons le plus de documentation possible sur comment fonctionne la machine à expulser —structures et engrenages, gestionnaires et collabos— afin de comprendre qu’il ne s’agit pas d’une machine invincible.

Appelons un lager un lager

Définir comme lager les “centres de séjour temporaire et d’assistance” [Cpt, centres de rétention] pour immigrés en attente d’expulsion —centres introduits en Italie en 1998 par le gouvernement de gauche avec la loi Turco-Napolitano, en conformité avec les accords de Schengen— n’est pas de l’emphase rhétorique, comme le pensent aussi au fond de nombreuses personnes qui utilisent cette formulation. Il s’agit d’une définition rigoureuse. Avant de devenir des centres d’extermination méthodiques, les lagers nazis ont été des camps de concentration dans lesquels vivaient reclus les individus que la police considérait, même en l’absence de conduite pénalement répréhensible, comme dangereux pour la sécurité de l’Etat. Cette mesure préventive —définie “détention protectrice” (Schutzhaft)— consistait à priver certains citoyens de tous leurs droits civils et politiques. Qu’ils fussent réfugiés, juifs, tziganes, homosexuels ou opposants politiques, il revenait à la police, après des mois ou des années, de décider quoi en faire. Ainsi, les lagers n’étaient pas des prisons dans lesquelles on arrivait à la suite d’une condamnation pour quelque délit (dans sa définition totalitaire plus ou moins aberrante), et ne constituaient pas une extension de droit pénal. Il s’agissait de camps dans lesquels la Norme fixait sa propre exception ; en bref, une suspension légale de la légalité. La définition d’un lager, donc, ne dépend ni du nombre d’internés ni de celui d’assassinés (entre 1935 et 1937, avant le début de la déportation des juifs, il y avait 7500 internés en Allemagne), mais bien de sa nature politique et juridique.

Les immigrés finissent aujourd’hui en centres de rétention indépendamment d’un éventuel délit, sans aucune procédure pénale : leur internement, à la discrétion du préfet, est une simple mesure de police. Exactement comme c’était le cas en 1940 sous le régime de Vichy, lorsque le préfet pouvait enfermer les individus “dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique” ou “les étrangers en surnombre par rapport à l’économie nationale”. On peut aussi se référer à la détention administrative dans l’Algérie française, à l’Afrique du Sud de l’apartheid, aux ghettos actuels créés par l’Etat d’Israël pour les palestiniens ou aux différents Guantanamo à travers le monde.

Ce n’est pas un hasard si, au regard des conditions infâmes de détention dans les centres pour immigrés, les bons démocrates ne revendiquent pas l’application d’une loi quelle qu’elle soit, mais bien celle des droits de l’homme (et dans les limites des différentes conventions internationales signées pour
les défendre). Les droits de l’homme sont l’ultime masque face aux femmes et aux hommes auxquels il ne reste rien d’autre que la simple appartenance à l’espèce humaine. Comme on ne peut pas les intégrer comme citoyens, on fait mine de les intégrer comme Humains. Sous l’égalité abstraite des principes, croissent partout des inégalités réelles.

De ce point de vue, l’introduction de la loi Bossi-Fini n’en a pas modifié la substance mais a seulement aggravé une situation déjà existante. La loi Bossi-Fini a circonscrit l’octroi d’un permis de séjour à la durée exacte du contrat de travail (hors de son être force-de-travail, l’immigré n’a
aucune raison d’exister), a doublé les limites de séjour dans les lagers (de 30 à 60 jours) et a transformé la clandestinité en délit —dans la mesure où celui qui viole un décret d’expulsion peut être incarcéré—, alors qu’il s’agissait auparavant d’une simple violation administrative passible d’une amende.

Les nouveaux centres de rétention sont construits dans différentes régions afin de rendre plus efficace la machine à expulser. Le gouvernement et les administrations locales n’en sont pas les seuls responsables. Une telle machine de l’abjection a besoin pour fonctionner du concours de nombreuses structures publiques et privées (de la Croix Rouge qui gère les lagers aux firmes qui fournissent les services, des compagnies aériennes qui déportent les clandestins aux aéroports qui organisent les “zones d’attente”, en passant par les associations dites caritatives qui collaborent avec la police). Il s’agit, au sens historique du mot, de collabos qui s’enrichissent des rafles, de la captivité et des déportations, qui plus est au nom de principes humanitaires. C’est au nom de l’Humanité, en effet, qu’aujourd’hui on bombarde, qu’on crée des camps de réfugiés, qu’on sème le désespoir et la mort. Aux côtés des militaires et de la police travaillent des centaines d’organisations non-gouvernementales qui se gardent bien de dénoncer les causes des désastres dans lesquels elles interviennent, intéressées comme elles le sont à en exploiter les conséquences. Le marché de l’humanitarisme est l’un des marchés du futur, il suffit de penser que les ONG représentent déjà, prises toutes ensemble, la septième puissance économique mondiale. Ces chacals peuplent et composent à divers titres cette zone grise dont a parlé Primo Levi en se référant aux internés et à tous les allemands qui collaboraient activement avec les nazis.

Toutes ces responsabilités sont bien visibles et bien attaquables. Des actions contre les centres de rétention (comme c’est arrivé il y a quelques années en Belgique lorsqu’une manifestation s’est conclue par la libération de quelques clandestins) à celles contre les “zones d’attente” (comme en France aux dépends de la chaîne d’hôtels Ibis qui fournit des chambres à la police) ou pour empêcher les vols de l’infamie (à Francfort, un sabotage de câbles à fibres optiques avait mis hors d’usage, il y a quelques années, tous les ordinateurs d’un aéroport pendant plusieurs jours), il y a mille pratiques qui peuvent être réalisées contre les expulsions. L’hostilité contre les “centres de séjour temporaire” est un premier pas.

S.L.

Un printemps à Turin

Fin mars [2003], un rassemblement contre la guerre en Irak se termine par de lourdes charges de la police. En plein centre-ville, les gendarmes enfoncent le groupe formé pour la plupart par des femmes et des enfants immigrés et frappent quiconque s’interpose. Juste après, à Porta Palazzo, le quartier de Turin qui abrite le plus d’étrangers, des poubelles incendiées accueillent l’arrivée de la police à la recherche d’autres manifestants à matraquer. L’imam Bouchta présente des excuses publiques à la préfecture et, en même temps, convainc ses coreligionnaires de ne plus participer à des rassemblements, désormais trop dangereux pour les immigrés : à partir de maintenant, lui seul pourra les représenter dans la rue. La semaine suivante, toujours à Porta Palazzo, des italiens et des étrangers brûlent ensemble le drapeau italien et celui des autres Etats impliqués dans le conflit : les journalistes qui rapportent cette nouvelle y joignent la condamnation prononcée par un autre imam citoyen, préoccupé par les conséquences que ce geste pourrait avoir dans les relations entre les différentes nationalités présentes à Turin.

Aux mois d’avril et de mai, de petits épisodes de résistance de rue aux expulsions qui s’étaient déjà diffusés dans la ville les années précédentes réémergent. A deux reprises, dans la zone de Piazza Vittorio Veneto, des maghrébins protègent à coups de pierres des compatriotes arrêtés par des patrouilles de flics. Dans le quartier populeux de Porta Palazzo, en même temps, les gendarmes qui effectuent des arrestations se retrouvent encerclés par une petite foule multicolore déchaînée et dans au moins un cas sont contraints à changer d’air pour se libérer de l’impasse.

Début mai, le propriétaire d’une parfumerie du quartier de San Salvario déclare vouloir vendre son commerce : la zone est tellement pleine de jeunes criminels étrangers —explique-t-il aux journalistes— qu’aucun de ses vieux clients n’a plus le courage de fréquenter la boutique. Divers représentants politiques de la ville et l’association des commerçants accourent pour lui offrir leur solidarité, le maire s’engage pour sa part à nettoyer la zone. C’est ainsi qu’ont commencés des mois de rafles et de chasse à l’homme. Cette affaire de parfumeur, en n’est en réalité que l’occasion d’inaugurer une nouvelle phase des opérations décidées par le Ministère de l’Intérieur (nommée, en fonction des cas, impact élevé, voies libres, routes propres) pour frapper les clandestins sous prétexte de criminalité. Jusqu’alors, les différents moments de l’opération voies libres avaient déjà conduit, dans la seule ville de Turin, à l’arrestation de 627 personnes et à l’expulsion de 715 clandestins, parmi lesquels 334 renvoyés de force. Les rafles de mai sont dures et volontairement spectaculaires, avec des quartiers entiers militarisés, des tabassages au milieu de la route et des courses-poursuites. Le maire en personne se rend sur place pour consoler les policiers, épuisés par tant d’efforts. Le parfumeur, au même moment, raconte avec désappointement aux journalistes que seuls des blacks et des chinois sont prêts à racheter son prestigieux commerce et accuse les arabes de la zone d’avoir cloué au cours de la nuit l’entrée de sa boutique. Les rafles continueront encore quelques mois, vidant la ville de beaucoup de ses hôtes indésirables et remplissant le Cpt [centre de rétention] de Cso Brunelleschi.

Fin mai, cinq anarchistes tentent de s’interposer au cours d’une rafle à San Salvario et sont arrêtés avec les immigrés. Une petite foule muette assiste à la scène. Certains indiffé-rents, certains satisfaits, d’autres apeurés : personne n’intervient. De la trentaine d’étrangers arrêtés, certains sont expulsés, les cinq sont quant à eux incarcérés à la prison de Vallette. Quelques jours après, le juge les renvoie en procès et les fait sortir. La Ligue du Nord, indignée par le laxisme de la magistrature, annonce un rassemblement dans le quartier pour le samedi suivant. Mario Borghezio —eurodéputé léguiste— et quelques militants participent au rassemblement, protégés par un cordon de police. De l’autre côté de la rue, une cinquantaine de rebelles les insulte avec slogans et railleries. Le même après-midi, des inconnus pénètrent au siège du Torino Cronaca, le journal de la ville qui se distingue depuis des années par sa propagande raciste : quelques ordinateurs de la rédaction sont endommagés et les murs remplis de tags.

En juin, un certain bruit se répand autour de l’arrestation de carabiniers habituellement en patrouille à San Salvario. Ils sont accusés d’être consommateurs et trafiquants de stupéfiants et d’avoir racketté la mère d’une personne toxico-dépendante. L’enquête sera vite enterrée, mais désormais et pour quelques années dans les rues de certains quartiers turinois, tout le corps des carabiniers sera connu pour ses vols aux dépends des immigrés clandestins, pour ses chantages contre les présumés trafiquants et pour les séquestrations à fins privées de substances illégales.

Quelques habitants de S. Salvario

La protection de la communauté

Pour résoudre le si grave problème du rapatriement des jeunes étrangers entrés en Italie sans leurs parents, la commune de Turin se pose en avant-garde. Le 8 janvier 2004, le délégué aux services sociaux Stefano Lepri fait une proposition au conseil municipal —immédiatement transformée en vote à l’unanimité— qui demande “l’activation d’une structure communautaire protectrice à caractère expérimental” ; ou comment avec l’excuse de la prévention contre l’exploitation de ces enfants et adolescents on les enfermera là afin de les réexpédier à la maison. En fait, les structures communes d’accueil des mineurs en danger ne sont pas adaptées à cet objectif parce qu’elles manquent de contrôle et sont insuffisamment pourvues de barreaux et de cadenas ; c’est pour cela que les chenapans qui y sont menés fuient la nuit, selon les constats de l’Ufficio di Pronto Intervento Minori [Bureau d’interven-tion rapide pour les mineurs].

La “communauté protectrice”, située rue La Salle, héberge uniquement de jeunes marocains et roumains car selon d’improbables analyses, ce sont principalement les jeunes de ces deux nationalités qui créent l’insécurité par des délits divers qui, ne peuvent être punis, notamment à cause de l’âge de ceux qui les commettent. Plus prosaïquement, la commune de Turin n’a signé des accords qu’avec la Roumanie et le Maroc, dont les consulats en Italie fournissent tous les papiers nécessaires au rapatriement.

Les jeunes sont expulsés, dans les 60 jours, même si leurs parents ne résident pas au pays ; il suffit que les accords économiques et de réadmis-sion signés avec les gouvernements en question précisent que les jeunes seront enfermés à leur retour dans des Centres d’assistance, des orphelinats ou des prisons, pour les récidivistes.

Parmi ceux qui tirent un profit notable de cette ultime horreur créée par la loi Bossi-Fini se trouve la société Imprese Cooperative Sociali (I.C.S.).

Contrairement à l’ensemble des autres coopératives sociales, cette espèce de mafia des entreprises à but non lucratif est la seule à s’être proposée et à avoir obtenu l’adjudication pour la gestion de ce lager.

I.D.

Chronique d’actions et évasions 2003 des Cpt

3 avril, Modène. Le soir, sept immigrés réussissent à s’évader du Cpt inauguré en novembre 2002. Parmi eux, un jeune ghanéen qui avait déjà essayé en vain. Ils parviennent à sortir en passant par le conduit d’aération. Jusqu’à octobre 2003, il y aura 38 évasions du Cpt de Modène, dont 8 de l’hôpital.

14 avril, Brindisi. Deux jeunes roumains tentent de s’évader du Cpt de Restinco. Un réussit tandis que l’autre se blesse en franchissant le mur d’enceinte.

26 avril, San Foca. Quatre roumains tentent de s’évader de Regina Pacis, frappant deux carabiniers intervenus sur leur passage.

3 mai, San Foca. Un petit groupe de maghrébins détruit la salle à manger du Cpt pour protester contre la notification imminente du décret d’expulsion. Huit carabiniers blessés.

10 mai, Lecce. Juste avant le départ du Tour cycliste d’Italie [le Giro], on trouve sur l’asphalte et sur les murs de quelques routes du trajet : “Immigrati liberi” et “Ruppi assassin”.

11 juin, Lecce. Incendie du portail de l’accès latéral de la cathédrale. On trouve sur les murs : “Liberté immédiate pour les immigrés du lager. Ruppi et Lodeserto, canailles criminelles”. Rappelons que l’évêque Ruppi et son “bras droit” Lodeserto sont les responsables du centre de rétention pour immigrés Regina Pacis de San Foca.

20 juin, Trapani. Une trentaine d’immigrés enfermés dans le Cpt Serraino Vulpitta s’opposent au transfert vers celui de San Foca et à leur expulsion imminente, lançant des objets contre les policiers, dont la réaction sera très dure.

29 juin, Turin. Deux révoltes éclatent dans le Cpt Cso Brunelleschi, une la nuit et la seconde l’après-midi, suite à la protestation d’immigrés contre l’imminent rapatriement forcé d’un groupe. Les flics interviennent avec de violents tabassages : résultat, deux personnes blessées, des vitres cassées, des matelas incendiés et divers dégâts.
Le même jour, dans le Cpt de via Corelli à Milan, un petit groupe d’immigrés transférés du Cpt de Bari Palese entrent en grève de la faim pour protester contre le rejet de leur demande d’asile et contre leur expulsion imminente.

27 juillet, Bari. Un groupe de manifestants pénètre dans le Cpt de Bari Palese en pratiquant un passage dans le grillage d’enceinte, favorisant la fuite d’une vingtaine d’immigrés emprisonnés.

28 juillet, Turin. Révolte puis évasion de 22 personnes du Cpt : la moitié d’entre elles est encore en liberté, les autres sont immédiatement reprises par la police. Vers 1h30 du matin, les détenus ont réussi à escalader les murs d’enceinte de huit mètres et à gagner la sortie du Cpt de Cso. Brunelleschi. La fuite survient après une manifestation qui a bloqué la serrure de la structure. Au cours de la visite de quelques conseillers régionaux éclate une révolte : matelas incendiés et quelques filets déracinés.

15 août, Lamezia Terme (TZ). Une quarantaine d’immigrés s’évadent du Cpt mais sont immédiatement interceptés.

30 août 2003, Trapani. Un incendie est allumé dans le secteur des carabiniers du Cpt Serraino Vulpitta, suite au tabassage d’un jeune détenu. Après environ une heure, un autre incendie éclate dans le secteur de la police.

Septembre/octobre, Lecce. Les journaux locaux informent que les façades de quelques églises et bâtiments du centre ville sont l’objet d’écrits permanents contre le Cpt de San Foca et leurs gestionnaires, don Cesare Lodeserto et monseigneur Ruppi, et pour la liberté de tous ceux qui y sont enfermés.

Fin octobre, Lecce. Quatre tentatives de suicide dans le Cpt Regina Pacis en moins de quinze jours.

8 novembre, Lecce. Au cours de la nuit, rue Ariosto et dans la province (à Lequile), deux distributeurs de la Banca Intensa, complice de la gestion du Cpt Regina Pacis, sont incendiés et détruits. A Lequile, les billets de banque du guichet brûlent également, la fumée noircit aussi les parois internes de la banque. L’enseigne est brisée à coups de pierres. Des tracts contre le Cpt sont retrouvés sur place.

9 novembre, Lecce. Rue Oberdan, un autre distributeur de billets de la Banca Intesa est mis hors d’usage avec de la colle.

24 novembre, San Foca (LE). Un algérien détenu dans le Cpt agresse don Cesare Lodeserto avec une masse, le blessant au poignet.

3 décembre, Calimera (LE). Affiches et tags dans toute la région contre la doctoresse Catia Cazzato, impliquée dans le Cpt Regina Pacis. Suite au tabassage de quelques immigrés, elle avait rédigé de faux certificats médicaux soutenant que les prisonniers s’étaient fait des blessures accidentellement au cours d’une tentative d’évasion. L’affiche comporte son numéro de téléphone en invitant à lui exprimer son mépris.

12 décembre, Agrigento. Huit maghrébins tentent de s’évader du Cpt San Benedetto, creusant patiemment pendant deux jours un trou dans le mur. Malheureusement, le bruit du coup d’épaule final fera accourir trop rapidement leurs gardiens.

Accueil ?

Centre de rétention “Regina Pacis” de San Foca : lieu d’accueil et de solidarité chrétienne selon ses responsables et gestionnaires, monseigneur Cosmo Francesco Ruppi et don Cesare Lodeserto. Dans la réalité de tous les jours, un endroit de négation de la liberté et de la dignité pour chaque individu qui y est enfermé, lieu de torture si intolérable qu’il ne laisse d’autre voie de sortie, pour certains, que le suicide.
De temps en temps, quelques faits (…les plus éclatants) soulèvent la chape de silence dans les médias locaux. C’est ainsi qu’on a su qu’en l’espace de seulement trois jours, entre vendredi 3 et dimanche 5 octobre, deux immigrés enfermés là ont tenté de mettre fin à leurs jours, cas extrêmes d’une tendance diffuse à l’automutilation ; c’est ainsi qu’apparait la pratique continuelle de tabassages par les flics et celle des médicaments que des médecins distribuent à pleines mains pour endormir les esprits.

Sur les deux, “sauvés par le personnel”, l’un n’a pu aller à l’hôpital parce qu’il aurait pu “tenter de s’y échapper” (un crime gravissime que de désirer ardemment la liberté), et l’autre a été enfermé en département psychiatrique (il est emblématique ce passage de témoin entre les matons en soutane de Regina Pacis et les matons en blouse blanche que sont les psychiatres).

A peine quinze jours plus tard, le 19 octobre, un autre marocain a tenté de se blesser au poignet avec une lame après une forte altercation avec le personnel médical, puis a menacé de le refaire face aux carabiniers qui tentaient de l’arrêter ; il a ensuite été pris.

Les gestionnaires du centre continuent de dire que “ces épisodes ne sont que des tentatives de leur part pour se faire admettre à l’hôpital afin de retarder le rapatriement ou une occasion pour s’évader facilement”. Le moindre doute ne les effleure même pas sur le fait que là où la liberté est enchaînée, les sens se désolent et les désirs sont niés, et qu’il peut ensuite se produire de telles choses.

Mais la torture, la dépersonnalisation, la soumission, l’humiliation ne sont pas l’exception ; ce sont des données centrales, fondamentales qui seront toujours présentes dans chaque lieu de réclusion, peu importe qu’il s’agisse d’une prison, d’un CPT ou de départements psychiatriques. Nous ne pensons pas qu’on puisse trouver la solution en désignant un commissaire à Regina Pacis comme l’a demandé misérablement un parlementaire après en avoir dénoncé les aspects les plus bestiaux, pas plus que dans la salle d’un tribunal aux mains d’un juge illuminé (les instigateurs mêmes de ces ségrégations) qui ferait le tri entre les flics tabasseurs et ceux à visage humain.

Il ne s’agit pas de dénoncer une gestion trop inhumaine du centre de San Foca, mais bien de comprendre ce que nous voulons, ce que nous désirons, pour quels rapports entre individus nous sommes prêts à nous mettre en jeu.

Nous pensons que la question est sociale et qu’elle doit être posée hors des lieux du pouvoir, dans les rues, sur les places, entre les gens, pour briser le silence et la résignation du “je voudrais bien mais je ne peux pas”.

Voulons-nous et sommes-nous prêts à nous battre pour la liberté, celle qui est entière, absolue, donc aussi pour la liberté de mouvement de tous, sans exclusive ?

C’est justement cette liberté de mouvement qui est en définitive déniée dans le CPT aux individus qui, indésirables pour l’État, sont définis comme des “immigrés clandestins”. S’en est assez pour considérer comme intolérable la seule existence de lager “d’accueil”. C’est pour cette raison que nous sommes prêts à nous opposer à leur existence. C’est pour cela que, simplement, nous y donnerons un coup de balai définitif pour obtenir la liberté de tous.

Des ennemis de toute frontière
c/o Spazio Anarchico – Corte dei Petraroli 2 – 73100 Lecce

[Partout] Feux du nouvel an 2013

**Paris – Récit de ballades nocturne contre les prisons**

Ce texte n’est qu’un récit qui en appelle d’autres. Il reflète un point de vue et ne prétend pas parler au nom des autres individuEs présentEs ce soir-là.

Dans la nuit du 31 décembre 2012 au 01 Janvier 2013, nous sommes allés rendre visite aux prisonniers à proximité de plusieurs lieux d’enfermement en Ile-de-France.

Vers 23H30 (peut être plus), nous sommes alléEs à plusieurs dizaines au centre de rétention de Vincennes. Alors que nous traversions le bois en direction du C.R.A, nous croisons un flic seul, avec son chien, qui après nous avoir demandé ce que nous faisions (et devant l’absence de réponse ou de quelques répliques ironiques) nous a alors gratifié d’un « bonne année » étrange et plein d’angoisse (Keufs ou matons : l’année sera plus belle sans vous). Après avoir traversé le bois derrière le centre, nous avons commencé à lancé des pétards, des feux d’artifices et des fusées en criant plusieurs slogans. Dont «  Liberté pour tous, avec ou sans papier », « Liberté ! Liberté ! » ou encore « pierre par pierre, et mur par mur, nous détruirons toutes les prison ».

En quelques minutes, sans doute alertés à l’avance par leur pote maitre-chien (le troll de la forêt), deux voitures pleines de flics débarquent. Nous nous esquivons alors tranquillement en repartant dans la forêt en hurlant sur les flics.

On recroise alors le troll de la forêt (le flic à chien de l’allée) qui est cette fois nettement plus remonté. Il nous dit de nous arrêter (il est seul, nous sommes à plusieurs dizaines) et commence à péter les plombs en menaçant de lâcher son chien et en essayant d’agripper des camarades. Le troll en uniforme finit par se ramasser le cul dans la boue et se faire copieusement insulter (notamment un retentissant « ferme ta gueule ! ferme ta gueule ! ferme ta gueule ! » sur un air chanté). Visiblement contenté de son premier échec de l’année, le troll de la brigade canine abandonne donc en continuant néanmoins à nous suivre de loin.

ArrivéEs sur un parking derrière le bois, les flics nous attendent avec 2 ou 3 bagnoles et commencent à descendre avec l’intention manifeste de nous attraper. Plusieurs personnes se séparent en groupes petits et grands et disparaissent dans la forêt ou aux alentours. S’en suis une petite cavalcade avec les flics qui rôdent un peu partout. Mais finalement, personne n’est arrêté.

Quelques temps plus tard…

Vers 1h30 du matin (peut être plus encore une fois) on est plusieurs à arriver vers la prison de Frêne. Il pleut et il fait froid, mais on se promène et on crie notre solidarité aux prisonniers qui commencent à répondre un peu et à gueuler. Puis le spectacle son et lumière commence.

Plusieurs groupes lancent des feux d’artifices (type mortier), pétards et fusées tout autour de la prison. A l’intérieur ça gueule, on lance des « liberté ! » qui reviennent comme un écho. Plusieurs slogans criés. On entend des gens gueuler à l’intérieur (la plupart contents, certains autres non : on les a peut-être réveillés…). Quelques pétards et fusées continuent de claquer pendant quelques minutes, puis on s’esquive tranquillement en continuant à crier.

Une société qui a besoin d’enfermer est elle-même une prison. Et la société dans laquelle nous vivons n’en a que trop besoin.

La prison est la soupape de sécurité d’une société autoritaire, divisée en classes, qui domine et opprime.

A défaut de pouvoir abattre ces murs dans l’immédiat, nous voulions réduire la distance entre ceux et celles qui sont dedans quelle que soit la raison et nous qui sommes dehors, au moins pour quelques minutes.

Parce que la liberté n’existera pas pleinement « hors les murs » tant qu’il y aura des murs de prison.

Parce que nous ne nous laisserons pas enfermer sans broncher.

Aussi, rappelons qu’avec un peu de malice et de bonne volonté, à 30 ou à 3000, il est toujours possible d’agir.

Tous les ans, partout dans le monde le jour du 1er de l’an, des rassemblements et des manifestations contre la prison et les lieux d’enfermement se déroulent aux abords des taules de toutes sortes à l’aide de feux d’artifices, de slogans, et d’autres trucs qui font du bruit ou laissent des traces.

Cette année encore, un appel international à des actions contre la prison avait été lancé pour la nuit du réveillon.

Enfin, le reste de l’année est là pour continuer à s’en prendre à la taule (dedans ou dehors) !

Feu à toutes les prisons ! Vive la belle ! Vive les mutinEs ! Vive la liberté !

Quelques anarchistes.

source

**Devant le centre de rétention de Schiphol (Amsterdam) :**

La nuit dernière, un groupe de personnes est allé faire du bruit devant le camp de déportation de Schiphol (Amsterdam). Il s’agit d’une tradition internationale de la Saint-Sylvestre de se rendre devant les prisons afin de briser le silence et l’isolement.

Dans la nouvelle prison de Schiphol « De Poort », plus de 1.000 personnes seront enfermées. Encore plus de cellules pour un système meurtrier. La nuit dernière, des messages enregistrés depuis le RefugeeChurch – une église squattée habitée par des sans-papiers à Amsterdam – ont été diffusés pour les personnes enfermées (à l’intérieur).

[…] Le système carcéral est entièrement basé sur leur besoin de réglementer et de contrôler la «société». Les gens sont enfermés simplement parce qu’ils ne rentrent pas dans cette société, ne contribuent pas suffisamment en termes économiques, ou tout simplement dans le but d’effrayer les gens. Pour l’Etat il s’agit de protéger les riches et l’ordre, afin de maintenir l’exploitation et la répression.

C’est pourquoi nous continuerons à venir pour faire entendre notre solidarité avec les prisonniers.

Jusqu’à ce que tout le monde soit libre, jusqu’à ce que les frontières et les murs de prison n’existent plus.

Pour un Nouvel An rebelle !

Traduit de l’anglais de Contra-info via le chat noir émeutier

**À Helsinki, un groupe de 20 personnes a manifesté autour du centre de rétention pour sans-papiers de Metsala.**

Quelques échanges ont eu lieu avec un détenu, la solidarité s’est exprimé par du vacarme nocturne avec tambours, slogans contre les CRA et les frontières, feux d’artifices et banderole. Un camarade a été arrêté par les flics mais relâché quelques heures plus tard.

**Voir aussi ici** **et là**

Récit de la manif du 15 décembre contre la traque aux pauvres à Marseille et ailleurs

Récit de la manif du 15 décembre contre la traque aux pauvres à Marseille et ailleurs

Les manifestants arrivent petit à petit au RDV donné à 16 heure sur la Porte d’Aix. C’est l’occasion d’occuper la pelouse interdite depuis l’été dernier (suite à son occupation par les haragas puis par les Roms), de boire un thé ensemble, de poser une table de presse et de distribuer des tracts aux alentours : le texte d’appel à la manif ‘ (en français et en arabe), un texte écrit pour la manif’, « et BIM! » (en français et en arabe aussi). À Marseille (et pas que…), ça fait un moment qu’on s’en prend plein la gueule : occupation policière et militaire massive, expropriations et expulsions en pagaille, restructurations en tout genre, Marseille 2013 et autres joyeusetés. Au lieu de riposter contre un ennemi commun, on s’enfonce dans une guerre des pauvres contre les pauvres : organisation de groupes « d’auto-défense » de citoyens contre les Roms, les voleurs, les mendiants etc., expulsions de camps de Roms par leurs voisins armés… Cette manif’ contre la traque aux pauvres était une réponse à ce contexte. Vers 17 heure nous sommes environ un peu plus que 200. Nous nous mettons en route en direction du Centre de rétention du Canet, avec une banderole de tête sur laquelle est écrit : « contre la misère et l’exploitation, on s’en fout du droit, on n’aura que ce qu’on prendra ». Deux autres banderoles, sur lesquelles on peut lire: « sans-papiers ni frontières » et « on veut pas de vos miettes, étouffez vous avec », encadrent la manif’. Aux cris de « contre la misère et l’exploitation, à bas l’Etat, les flics et les patrons », « ni flics, ni fric, ni expulsions », nous empruntons la rue d’Aix en bloquant la circulation. Les premiers fumigènes sont allumés et les premiers pétards éclatent. À noter qu’aucun parti ou orga n’ont de place. Tout au long du parcours, les tracts sont largement distribués et partout nous rencontrons un accueil chaleureux et enthousiaste! Véridique, on avait jamais vu ça à Marseille. Même les automobilistes et les bus klaxonnaient pour nous soutenir (alors que d’habitude, quand ils klaxonnent, c’est avant de nous foncer dessus). Les critiques abordées dans les tracts et à travers les slogans et les banderoles ( précarité, frontières, exploitation…), font écho au vécu de chacun. Des personnes rejoignent la manif. Spéciale dédicace aux ado-e-s qui ont pris le micro boulevard national. Nous arrivons devant le centre, l’accès est bloqué par les gendarmes mobiles. Nous restons là un moment à faire le plus de bruit possible et à jeter des pétards. Nous décidons de partir. On remonte plombière et nous nous arrêtons un moment devant la gendarmerie squattée par des Roms. Ensuite, nous nous dispersons tranquillement. Certains d’entre nous rentrent en bus gratuit. Le chauffeur a vue passer la manif, il les accueille à bras ouverts. On est content, c’était une chouette manif, vivement la prochaine.

[Tract] Manif’, révoltes et évasions au centre de rétention de Vincennes

 Manif’, révoltes et évasions au centre de rétention de Vincennes

Télécharger le tract mis en page (.pdf)

Depuis plusieurs semaines, les actes de résistance individuels et collectifs dans le centre de rétention de Vincennes, comme à l’extérieur, se sont multipliés. Petite chronologie non-exhaustive de ce qui s’est passé ces dernières semaines.

Le 15 novembre, à la veille d’une manifestation organisée vers le centre de rétention de Vincennes, une révolte éclate dans le bâtiment 2. Un retenu a tenté de se suicider suite à des maltraitances policières, ce qui anime la colère des autres. Ils cassent alors des néons, des caméras, des portes, et des feux sont allumés.

Le 16 novembre, une manifestation nocturne a lieu aux alentours du centre de rétention de Vincennes. Le cortège, d’environ 80 personnes, ne peut pas s’approcher aussi près du centre qu’il le souhaite, car les keufs sont deux fois plus nombreux et bien équipés. Bloqués devant l’hippodrome, les manifestants ont quand même pu être entendus des retenus du centre 1 à force de pétards, feux d’artifices et cris de liberté. « On entendait la manif’ mais vite fait, on est loin, on est loin t’as vu, mais on l’entend quand même. »
À l’intérieur les retenus réagissent. Ils mettent le feu à des poubelles, et tentent de sauter les grilles. Sans succès. Les crs débarquent alors en force dans le centre : « […] ils étaient 60 ou 70 personnes quand même, tu peux rien faire. » Heureusement, il n’y a eu aucune interpellation à l’intérieur comme à l’extérieur.

Le 21 novembre, on découvre que les grilles du centre ne sont pas si épaisses que ça.
La nuit précédente, sept retenus du bâtiment 3 se sont en effet échappés en passant par une porte à l’arrière du centre. Ils ont traversé l’autoroute pour ensuite prendre le RER.
Un retenu revient sur les évasions :
« C’était trop facile de s’évader ! Ils ont ouvert une porte, ils ont couru, moi j’ai vu la porte ouverte mais j’ai pas voulu courir parce que moi ils connaissent toute ma vie […]En fait l’alarme elle fait semblant, ici ils sont en mort d’effectifs en fait, le soir ils sont même pas dix, ils sont même pas dix dans tout le centre !
Ça veut dire là quand y’a eu l’alarme, les mecs ils mettent au moins 3-4 minutes pour réagir, même plus ! Ça veut dire 3-4 minutes t’es déjà dans le RER, tu cours vite là et t’es dans le RER. »
À ce jour, aucun n’a été rattrapé, on leur souhaite bonne chance pour la suite !

La semaine du 10 décembre, plusieurs retenus tentent de se suicider. L’un d’entre eux avale des lames de rasoir, les flics mettent du temps à réagir. « Ils l’ont laissé en chien pendant une heure, ils attendaient. Ils ont appelé le samu, après une heure y’a qui qui vient ? L’infirmière, elle sait à peine faire des piqûres, elle va pas soigner quelqu’un qui a des lames dans son estomac ! »
Suite à cela, les retenus commencent à se plaindre, à boucher toute les caméras, à mettre le feu à du mobilier. « [les flics] ils sont montés, ils ont calmé le jeu. Et le lendemain vers 4h du matin ils ont mis l’alarme, comme quoi y’avait des gens qui fumaient dans les chambre mais c’était comme ça, pour nous faire chier ! »

Dimanche 16 décembre au soir, au centre de rétention de Palaiseau (91), 4 sans-papiers se sont évadés. Après avoir pris son badge magnétique a un flic pour ouvrir les portes, ils ont escaladé les grillages et disparu. Malheureusement un autre retenu accusé d’avoir aidé à l’évasion a été incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis. Une instruction est en cours dans l’attente d’un procès.

Un texte à (re)lire : L’incendie

En ce moment où la flamme de la révolte se ravive en Tunisie comme en Égypte, un texte à (re)lire publié dans la revue anarchiste Subversions. 

L’incendie

ça commence par une énième étincelle et soudain elle met le feu aux poudres. ça s’enflamme en Tunisie puis en Egypte, puis au Maroc, en Algérie, en Libye et en Syrie… et l’immense feu de joie qui embrase toute la région imprime dans les cœurs des révoltés, partout dans le monde, cette affirmation : rien n’est impossible.

Les dirigeants des démocraties occidentales, eux, auraient bien aimé que rien ne soit possible. Ou, en tout cas, limiter le champ des possibles. Après avoir hésité, attendant les mots d’ordres de leurs maîtres, les médias ont tous adopté la même ligne. Face à l’élan insurrectionnel qui leur font craindre un vent révolutionnaire risquant de passer la Méditerranée, ils tentent de récupérer les événements en leur faveur, imposant leur grille de lecture : ce qui se jouerait au Maghreb et au Moyen Orient serait une révolution pour la transition démocratique (bourgeoise libérale).

Il est vrai que les dirigeants européens ne sont pas très rassurés. Jusqu’ici ils s’accommodaient bien de cet arc de pays autoritaires qui formait la frontière sud de l’Union. Ils avaient noué des accords stratégiques comprenant des dimensions économiques, politiques et militaires avec la plupart d’entre eux. Accords où la question de la démocratie à la sauce droit-de-l’hommiste n’était que pure rhétorique. C’est pourtant cette bannière que dirigeants européens et nord-américains agitent en toute occasion pour justifier leur entrée en guerre ou leurs interventions militaires et civiles dans des situations de «crise».

Quand l’Europe parle d’humains, ce sont par exemple cinq milliards d’euros versés chaque année à la Libye en contrepartie desquels Kadhafi s’engageait à arrêter le flux de migrants venu d’Afrique. Concrètement, cela donnait des réfugiés arrêtés en pleine mer par les patrouilles italiennes qui, quand celles-ci ne les coulaient pas, les redirigaient vers la Libye où ils étaient enfermés dans trois camps de mille places en plein désert. Concrètement, c’est aussi actuellement ne pas bombarder la marine militaire de Kadhafi parce que celle-ci servira au futur pouvoir pour continuer la même sale besogne. Le CNT, Conseil national de transition, a d’ailleurs signé le 17 juin à Naples la poursuite de cet accord avec l’Italie s’il parvenait à s’emparer du pouvoir. La construction d’un nouveau camp est d’ores et déjà prévue à Benghazi.

Quand l’Europe parle de démocratie, cela consiste aussi à injecter de l’argent au Maroc pour qu’il fortifie les colonies espagnoles de Ceuta et Melilla sur le continent africain, à coup de barbelés, de miradors et de balles. La démocratie, ce sont des drones survolants les frontières européennes pour faire la chasse aux «clandestins» ; ce sont des appareils qui détectent les battements de cœur pour repérer les migrants qui se cachent dans des camions ou des trains pour pénétrer dans ce modèle de moralité et de civilisation que prétend être l’Europe.

La moralité en Europe, c’est d’appliquer dans la démocratie italienne un permis de séjour à points pour les individus en attente de papiers (selon leur degré de soumission), avec lequel elles intègrent le pays en tant qu’esclaves salariés qui risquent de perdre à tout moment la possibilité d’y rester. La moralité d’une démocratie à la française, c’est de proposer le retrait de la nationalité d’une personne d’origine étrangère quand elle est vaguement reconnue coupable d’avoir attentée à un dépositaire de l’ordre public. La justice à la belge, c’est de couvrir les gendarmes qui ont assassiné Semira Adamu, une femme courageuse et combattante, lors de sa sixième tentative d’expulsion.

La démocratie en Europe, ce sont des dizaines de camps d’enfermement (jusqu’à 18 mois) pour les sans-papiers répartis dans tous les pays. Des camps avec des matons qui frappent et des médecins qui endorment les ardeurs à coups de calmants. La démocratie c’est, selon les préfets, la liberté de manifester devant un centre de rétention, mais toujours à bonne distance des grilles. C’est prétendre que quand les retenus se révoltent, ce n’est pas à cause de leur enfermement, mais parce que des personnes solidaires, de l’autre côté des murs, crient Liberté !

La démocratie en Europe c’est, du jour au lendemain, renvoyer des réfugiés dans un pays considéré la veille comme la pire des dictatures, mais devenu depuis un allié, bien que les conditions réelles n’aient en rien changé pour les pauvres. C’est considérer les immigrés sous l’angle de la rentabilité, et renvoyer ceux qui ne peuvent pas faire valoir une compétence que le capitalisme d’ici juge pressurable à merci.

Il paraîtrait même que la barbarie serait la spécificité des régimes dictatoriaux, quand, ici comme partout, les États enferment les révoltés par dizaines de milliers, mutilent et tuent au besoin ceux qui sont trop récalcitrants ou inutiles (par le suicide en prison, l’esclavage salarié et ses «accidents», ou encore la gestion de la pacification sociale à travers les stupéfiants dans les quartiers pauvres).

Alors, c’est donc ça le modèle démocratique dont les dirigeants se vantent, celui qu’ils voudraient exporter ailleurs pour préserver leur pouvoir ? Eh oui ! Et puisque c’est bien ça, alors débarrassons-nous en au plus vite.

Au début, les révoltes qui grondent de l’autre côté de la Méditerranée étaient présentées comme l’œuvre de casseurs, de désœuvrés ou de terroristes, avant de devenir en quelques jours de louables aspirations à une transition démocratique. Cela permettait, dans le même temps qu’une reprise de contrôle de la situation, de se présenter une fois de plus comme le modèle à atteindre. Et au passage, cela voudrait balayer la perspective d’une contamination des révoltes vers le continent européen. Comment en effet imaginer se révolter ici, quand on nous serine partout que des gens sont prêts à se faire tuer là-bas pour avoir notre chance ?

Là où la dictature ne laisse aucune place à sa remise en cause, la démocratie non plus, mais de manière plus fine. Toute sa force réside dans la place qu’elle laisse à l’expression du mécontentement, de la marge, à partir du moment que c’est elle qui définit les limites et les formes acceptables. En effet, tant que les contestations n’en viennent pas à le cibler en tant que tel, tant qu’elles acceptent les règles du jeu qu’il leur fixe, l’autorité et le pouvoir de l’État ne s’en voient que renforcés et légitimés. L’art de tout pouvoir démocrate réside dans sa capacité à s’assurer de l’inoffensivité des contestations en les intégrant avec l’aide de ses médiations (syndicats, religieux, élus, associations, grands frères).

C’est quand la mascarade ne prend définitivement pas, quand la protestation se mue en une révolte qui pousse le bouchon un peu plus loin (la grève devient sauvage, une loi n’est plus à modifier mais à retirer, une nuisance n’est pas à expertiser mais doit disparaître d’un territoire donné), que les États démocratiques usent de l’art subtil de la récompense comme de la coercition, de la carotte comme du bâton. Et tout revient alors souvent dans l’ordre, au prix de quelques sacrifices d’un côté, d’os brisés et d’années de prison de l’autre.

Restent alors ceux qui dépassent les bornes (en posant un pourquoi subversif et plus seulement un comment), ceux qui refusent le dialogue, ou encore tous ces indésirables qu’il n’est pas souhaitable de faire participer au paradis marchand et progressiste de la démocratie. Ceux-là sont regroupés dans des figures isolées socialement (le délinquant forcément violent, le terroriste forcément sanguinaire, le parasite forcément chômeur…), présentées comme responsables des imperfections du fonctionnement de la société. Le terrain étant prêt, une répression ciblée peut ensuite s’abattre sur ces catégories de la population créées puis alimentées par le pouvoir. Cela permet de justifier le développement d’outils de contrôle d’abord contre ces figures-là, avant de les généraliser à l’ensemble de la population (papiers d’identité, empreintes digitales et génétiques, biométrie,…).

Plus généralement à tous les niveaux, lorsque l’individu refuse de se plier, de se résigner à accepter les lois étatiques et autres morales sociales qui ne lui conviennent pas et ne reprend pas le droit chemin démocrate, la menace de l’enfermement reste une arme de choix. Les hôpitaux psychiatriques pour ceux qui ne rentrent pas dans les normes. Les prisons pour mineurs et les taules pour ceux qui remettent en question le règne de la propriété privée, pour ceux qui sont trop rétifs à l’autorité.

Mais qu’est-ce que ce monde qui parle de liberté sous la menace de l’enfermement ?

Aucun parti politique ne mettra jamais fin aux camps pour migrants tant qu’il existera un intérêt économique et social à les maintenir en place (l’abaissement général du coût du travail par le chantage à l’expulsion de la main d’œuvre étrangère d’un côté, l’existence des frontières de l’autre). Parce qu’au-delà de la forme plus ou moins autoritaire de la domination (dictature d’un seul, d’un petit nombre ou d’une majorité), le capitalisme n’a pas de visage humain.Tant que nous croirons à la fable de la démocratie et des droits de l’homme, tant que nous déléguerons notre capacité de décision et d’action aux politiciens (élus ou récupérateurs issus des luttes), nous nous réduirons nous-mêmes à une vie de soumis, vide et absurde.

Ces derniers mois pourtant de l’autre côté de la Méditerranée, l’exemple nous a été donné que rien n’est impossible. Dans des zones où la répression policière du pouvoir guettait à chaque coin de rue et parfois jusqu’au sein de chaque famille (sur le modèle du capitalisme d’Etat de l’Est), une partie de la population a repris la rue, les effigies des dirigeants ont jonché le sol, des commissariats ont brûlé, des prisons et des villas de riches ont été attaquées, des entrepôts ont été pillés…

Sur le sol même du continent européen, en un mois, ce sont également trois camps pour migrants qui ont presqu’entièrement brûlé. À Gradisca, en Italie, depuis des semaines les sans-papiers sabotaient, incendiaient et détruisaient leur cage. C’est alors que sont arrivés une cinquantaine de Tunisiens que l’Italie s’est empressée d’enfermer. Il s’en est suivi une escalade d’incendies, au point qu’il ne reste plus qu’une cellule valide dans le camp. En Belgique, ceux du centre 127bis ont brûlé les cellules, alors que de l’autre côté des grillages des manifestants criaient «Liberté !». Et tandis qu’ils étaient repoussés dans la cour, l’un d’entre eux a réussi à s’évader. Si les manifestants de l’autre côté des grilles avaient suivi les valeurs de la démocratie, ils auraient sinon repoussé l’évadé dans l’antre de la prison, au moins attendu passivement l’intervention de la police. Mais ils ont fait ce que commande l’élan du cœur, et pas celui du réalisme politique  : ils ont aidé l’évadé à disparaître dans la nature. Dans la nuit, une autre aile du camp a brûlé, ce qui fait deux ailes rendues inopérantes pour des mois. Début mars, c’est aussi le centre de rétention de Marseille que des retenus ont cramé.

Ces gestes de révolte et de solidarité -des deux côtés de la Méditerranée- nous donnent la force de continuer à lutter contre les bavardages et les chausse-trappe de tous ceux qui tirent profit de l’ordre des choses. De la Tunisie à ici, personne ne pourra prétendre enfermer nos rêves d’une liberté démesurée, pour toutes et tous.

Quelques étincelles, 20 avril 2011

[Publié dans SubversionS n°1, septembre 2012, Paris, pp. 30-31]