Sans Papiers Ni Frontières

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Contre les frontières et leurs prisons

[Tempi di guerra] Quelques textes à (re)lire

Tempi di guerra, correspondances entre les luttes contre les expulsions et leur monde, est un bulletin apériodique paru en Italie entre janvier 2004 et janvier 2006.

 Les textes ci-dessous ont été publiés dans le n°1 (janvier 2004 ), traductions faites par Cette semaine, et publiées dans le n°87 (février/mars 2004).

Les différents numéros du journal sont disponibles sur http://digilander.libero.it/tempidiguerra/ ainsi que quelques traductions d’articles en allemand et en anglais.

Présentation du journal – Appelons un lager un lager – Un printemps à Turin – La protection de la communauté – Chroniques d’actions et évasions 2003 des Cpt – Accueil ?

Présentation du journal

Tempi di guerra est né pour satisfaire une exigence, celle de mettre en correspondance les différentes formes de lutte contre les expulsions et leur monde.

Ce bulletin aura comme angle d’attaque les lager pour clandestins —ceux que la bureaucratie appelle par euphémisme “centres de séjours temporaires et d’assistance”— et tout ce qui les fait exister et fonctionner. Nous trouvons tout simplement répugnant que des êtres humains soient internés uniquement parce qu’ils n’ont pas les bons papiers. Nous savons que, si cette infamie particulière est le produit d’une infamie générale, les responsabilités sont toutefois bien concrètes et spécifiques, et nous ne sommes pas disposés à fermer les yeux. Nous ne voulons pas de lager plus humains, plus colorés, plus respectueux des droits et de la légalité. Nous voulons les voir rasés, un point c’est tout.

À travers les pages du bulletin, nous chercherons à faire parler les idées et les pratiques de cette inimitié sans médiations, dans une perspective qui refuse toute logique institutionnelle et qui met en discussion, avec les lager, le monde qui les génère. Nous fournirons le plus de documentation possible sur comment fonctionne la machine à expulser —structures et engrenages, gestionnaires et collabos— afin de comprendre qu’il ne s’agit pas d’une machine invincible.

Appelons un lager un lager

Définir comme lager les “centres de séjour temporaire et d’assistance” [Cpt, centres de rétention] pour immigrés en attente d’expulsion —centres introduits en Italie en 1998 par le gouvernement de gauche avec la loi Turco-Napolitano, en conformité avec les accords de Schengen— n’est pas de l’emphase rhétorique, comme le pensent aussi au fond de nombreuses personnes qui utilisent cette formulation. Il s’agit d’une définition rigoureuse. Avant de devenir des centres d’extermination méthodiques, les lagers nazis ont été des camps de concentration dans lesquels vivaient reclus les individus que la police considérait, même en l’absence de conduite pénalement répréhensible, comme dangereux pour la sécurité de l’Etat. Cette mesure préventive —définie “détention protectrice” (Schutzhaft)— consistait à priver certains citoyens de tous leurs droits civils et politiques. Qu’ils fussent réfugiés, juifs, tziganes, homosexuels ou opposants politiques, il revenait à la police, après des mois ou des années, de décider quoi en faire. Ainsi, les lagers n’étaient pas des prisons dans lesquelles on arrivait à la suite d’une condamnation pour quelque délit (dans sa définition totalitaire plus ou moins aberrante), et ne constituaient pas une extension de droit pénal. Il s’agissait de camps dans lesquels la Norme fixait sa propre exception ; en bref, une suspension légale de la légalité. La définition d’un lager, donc, ne dépend ni du nombre d’internés ni de celui d’assassinés (entre 1935 et 1937, avant le début de la déportation des juifs, il y avait 7500 internés en Allemagne), mais bien de sa nature politique et juridique.

Les immigrés finissent aujourd’hui en centres de rétention indépendamment d’un éventuel délit, sans aucune procédure pénale : leur internement, à la discrétion du préfet, est une simple mesure de police. Exactement comme c’était le cas en 1940 sous le régime de Vichy, lorsque le préfet pouvait enfermer les individus “dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique” ou “les étrangers en surnombre par rapport à l’économie nationale”. On peut aussi se référer à la détention administrative dans l’Algérie française, à l’Afrique du Sud de l’apartheid, aux ghettos actuels créés par l’Etat d’Israël pour les palestiniens ou aux différents Guantanamo à travers le monde.

Ce n’est pas un hasard si, au regard des conditions infâmes de détention dans les centres pour immigrés, les bons démocrates ne revendiquent pas l’application d’une loi quelle qu’elle soit, mais bien celle des droits de l’homme (et dans les limites des différentes conventions internationales signées pour
les défendre). Les droits de l’homme sont l’ultime masque face aux femmes et aux hommes auxquels il ne reste rien d’autre que la simple appartenance à l’espèce humaine. Comme on ne peut pas les intégrer comme citoyens, on fait mine de les intégrer comme Humains. Sous l’égalité abstraite des principes, croissent partout des inégalités réelles.

De ce point de vue, l’introduction de la loi Bossi-Fini n’en a pas modifié la substance mais a seulement aggravé une situation déjà existante. La loi Bossi-Fini a circonscrit l’octroi d’un permis de séjour à la durée exacte du contrat de travail (hors de son être force-de-travail, l’immigré n’a
aucune raison d’exister), a doublé les limites de séjour dans les lagers (de 30 à 60 jours) et a transformé la clandestinité en délit —dans la mesure où celui qui viole un décret d’expulsion peut être incarcéré—, alors qu’il s’agissait auparavant d’une simple violation administrative passible d’une amende.

Les nouveaux centres de rétention sont construits dans différentes régions afin de rendre plus efficace la machine à expulser. Le gouvernement et les administrations locales n’en sont pas les seuls responsables. Une telle machine de l’abjection a besoin pour fonctionner du concours de nombreuses structures publiques et privées (de la Croix Rouge qui gère les lagers aux firmes qui fournissent les services, des compagnies aériennes qui déportent les clandestins aux aéroports qui organisent les “zones d’attente”, en passant par les associations dites caritatives qui collaborent avec la police). Il s’agit, au sens historique du mot, de collabos qui s’enrichissent des rafles, de la captivité et des déportations, qui plus est au nom de principes humanitaires. C’est au nom de l’Humanité, en effet, qu’aujourd’hui on bombarde, qu’on crée des camps de réfugiés, qu’on sème le désespoir et la mort. Aux côtés des militaires et de la police travaillent des centaines d’organisations non-gouvernementales qui se gardent bien de dénoncer les causes des désastres dans lesquels elles interviennent, intéressées comme elles le sont à en exploiter les conséquences. Le marché de l’humanitarisme est l’un des marchés du futur, il suffit de penser que les ONG représentent déjà, prises toutes ensemble, la septième puissance économique mondiale. Ces chacals peuplent et composent à divers titres cette zone grise dont a parlé Primo Levi en se référant aux internés et à tous les allemands qui collaboraient activement avec les nazis.

Toutes ces responsabilités sont bien visibles et bien attaquables. Des actions contre les centres de rétention (comme c’est arrivé il y a quelques années en Belgique lorsqu’une manifestation s’est conclue par la libération de quelques clandestins) à celles contre les “zones d’attente” (comme en France aux dépends de la chaîne d’hôtels Ibis qui fournit des chambres à la police) ou pour empêcher les vols de l’infamie (à Francfort, un sabotage de câbles à fibres optiques avait mis hors d’usage, il y a quelques années, tous les ordinateurs d’un aéroport pendant plusieurs jours), il y a mille pratiques qui peuvent être réalisées contre les expulsions. L’hostilité contre les “centres de séjour temporaire” est un premier pas.

S.L.

Un printemps à Turin

Fin mars [2003], un rassemblement contre la guerre en Irak se termine par de lourdes charges de la police. En plein centre-ville, les gendarmes enfoncent le groupe formé pour la plupart par des femmes et des enfants immigrés et frappent quiconque s’interpose. Juste après, à Porta Palazzo, le quartier de Turin qui abrite le plus d’étrangers, des poubelles incendiées accueillent l’arrivée de la police à la recherche d’autres manifestants à matraquer. L’imam Bouchta présente des excuses publiques à la préfecture et, en même temps, convainc ses coreligionnaires de ne plus participer à des rassemblements, désormais trop dangereux pour les immigrés : à partir de maintenant, lui seul pourra les représenter dans la rue. La semaine suivante, toujours à Porta Palazzo, des italiens et des étrangers brûlent ensemble le drapeau italien et celui des autres Etats impliqués dans le conflit : les journalistes qui rapportent cette nouvelle y joignent la condamnation prononcée par un autre imam citoyen, préoccupé par les conséquences que ce geste pourrait avoir dans les relations entre les différentes nationalités présentes à Turin.

Aux mois d’avril et de mai, de petits épisodes de résistance de rue aux expulsions qui s’étaient déjà diffusés dans la ville les années précédentes réémergent. A deux reprises, dans la zone de Piazza Vittorio Veneto, des maghrébins protègent à coups de pierres des compatriotes arrêtés par des patrouilles de flics. Dans le quartier populeux de Porta Palazzo, en même temps, les gendarmes qui effectuent des arrestations se retrouvent encerclés par une petite foule multicolore déchaînée et dans au moins un cas sont contraints à changer d’air pour se libérer de l’impasse.

Début mai, le propriétaire d’une parfumerie du quartier de San Salvario déclare vouloir vendre son commerce : la zone est tellement pleine de jeunes criminels étrangers —explique-t-il aux journalistes— qu’aucun de ses vieux clients n’a plus le courage de fréquenter la boutique. Divers représentants politiques de la ville et l’association des commerçants accourent pour lui offrir leur solidarité, le maire s’engage pour sa part à nettoyer la zone. C’est ainsi qu’ont commencés des mois de rafles et de chasse à l’homme. Cette affaire de parfumeur, en n’est en réalité que l’occasion d’inaugurer une nouvelle phase des opérations décidées par le Ministère de l’Intérieur (nommée, en fonction des cas, impact élevé, voies libres, routes propres) pour frapper les clandestins sous prétexte de criminalité. Jusqu’alors, les différents moments de l’opération voies libres avaient déjà conduit, dans la seule ville de Turin, à l’arrestation de 627 personnes et à l’expulsion de 715 clandestins, parmi lesquels 334 renvoyés de force. Les rafles de mai sont dures et volontairement spectaculaires, avec des quartiers entiers militarisés, des tabassages au milieu de la route et des courses-poursuites. Le maire en personne se rend sur place pour consoler les policiers, épuisés par tant d’efforts. Le parfumeur, au même moment, raconte avec désappointement aux journalistes que seuls des blacks et des chinois sont prêts à racheter son prestigieux commerce et accuse les arabes de la zone d’avoir cloué au cours de la nuit l’entrée de sa boutique. Les rafles continueront encore quelques mois, vidant la ville de beaucoup de ses hôtes indésirables et remplissant le Cpt [centre de rétention] de Cso Brunelleschi.

Fin mai, cinq anarchistes tentent de s’interposer au cours d’une rafle à San Salvario et sont arrêtés avec les immigrés. Une petite foule muette assiste à la scène. Certains indiffé-rents, certains satisfaits, d’autres apeurés : personne n’intervient. De la trentaine d’étrangers arrêtés, certains sont expulsés, les cinq sont quant à eux incarcérés à la prison de Vallette. Quelques jours après, le juge les renvoie en procès et les fait sortir. La Ligue du Nord, indignée par le laxisme de la magistrature, annonce un rassemblement dans le quartier pour le samedi suivant. Mario Borghezio —eurodéputé léguiste— et quelques militants participent au rassemblement, protégés par un cordon de police. De l’autre côté de la rue, une cinquantaine de rebelles les insulte avec slogans et railleries. Le même après-midi, des inconnus pénètrent au siège du Torino Cronaca, le journal de la ville qui se distingue depuis des années par sa propagande raciste : quelques ordinateurs de la rédaction sont endommagés et les murs remplis de tags.

En juin, un certain bruit se répand autour de l’arrestation de carabiniers habituellement en patrouille à San Salvario. Ils sont accusés d’être consommateurs et trafiquants de stupéfiants et d’avoir racketté la mère d’une personne toxico-dépendante. L’enquête sera vite enterrée, mais désormais et pour quelques années dans les rues de certains quartiers turinois, tout le corps des carabiniers sera connu pour ses vols aux dépends des immigrés clandestins, pour ses chantages contre les présumés trafiquants et pour les séquestrations à fins privées de substances illégales.

Quelques habitants de S. Salvario

La protection de la communauté

Pour résoudre le si grave problème du rapatriement des jeunes étrangers entrés en Italie sans leurs parents, la commune de Turin se pose en avant-garde. Le 8 janvier 2004, le délégué aux services sociaux Stefano Lepri fait une proposition au conseil municipal —immédiatement transformée en vote à l’unanimité— qui demande “l’activation d’une structure communautaire protectrice à caractère expérimental” ; ou comment avec l’excuse de la prévention contre l’exploitation de ces enfants et adolescents on les enfermera là afin de les réexpédier à la maison. En fait, les structures communes d’accueil des mineurs en danger ne sont pas adaptées à cet objectif parce qu’elles manquent de contrôle et sont insuffisamment pourvues de barreaux et de cadenas ; c’est pour cela que les chenapans qui y sont menés fuient la nuit, selon les constats de l’Ufficio di Pronto Intervento Minori [Bureau d’interven-tion rapide pour les mineurs].

La “communauté protectrice”, située rue La Salle, héberge uniquement de jeunes marocains et roumains car selon d’improbables analyses, ce sont principalement les jeunes de ces deux nationalités qui créent l’insécurité par des délits divers qui, ne peuvent être punis, notamment à cause de l’âge de ceux qui les commettent. Plus prosaïquement, la commune de Turin n’a signé des accords qu’avec la Roumanie et le Maroc, dont les consulats en Italie fournissent tous les papiers nécessaires au rapatriement.

Les jeunes sont expulsés, dans les 60 jours, même si leurs parents ne résident pas au pays ; il suffit que les accords économiques et de réadmis-sion signés avec les gouvernements en question précisent que les jeunes seront enfermés à leur retour dans des Centres d’assistance, des orphelinats ou des prisons, pour les récidivistes.

Parmi ceux qui tirent un profit notable de cette ultime horreur créée par la loi Bossi-Fini se trouve la société Imprese Cooperative Sociali (I.C.S.).

Contrairement à l’ensemble des autres coopératives sociales, cette espèce de mafia des entreprises à but non lucratif est la seule à s’être proposée et à avoir obtenu l’adjudication pour la gestion de ce lager.

I.D.

Chronique d’actions et évasions 2003 des Cpt

3 avril, Modène. Le soir, sept immigrés réussissent à s’évader du Cpt inauguré en novembre 2002. Parmi eux, un jeune ghanéen qui avait déjà essayé en vain. Ils parviennent à sortir en passant par le conduit d’aération. Jusqu’à octobre 2003, il y aura 38 évasions du Cpt de Modène, dont 8 de l’hôpital.

14 avril, Brindisi. Deux jeunes roumains tentent de s’évader du Cpt de Restinco. Un réussit tandis que l’autre se blesse en franchissant le mur d’enceinte.

26 avril, San Foca. Quatre roumains tentent de s’évader de Regina Pacis, frappant deux carabiniers intervenus sur leur passage.

3 mai, San Foca. Un petit groupe de maghrébins détruit la salle à manger du Cpt pour protester contre la notification imminente du décret d’expulsion. Huit carabiniers blessés.

10 mai, Lecce. Juste avant le départ du Tour cycliste d’Italie [le Giro], on trouve sur l’asphalte et sur les murs de quelques routes du trajet : “Immigrati liberi” et “Ruppi assassin”.

11 juin, Lecce. Incendie du portail de l’accès latéral de la cathédrale. On trouve sur les murs : “Liberté immédiate pour les immigrés du lager. Ruppi et Lodeserto, canailles criminelles”. Rappelons que l’évêque Ruppi et son “bras droit” Lodeserto sont les responsables du centre de rétention pour immigrés Regina Pacis de San Foca.

20 juin, Trapani. Une trentaine d’immigrés enfermés dans le Cpt Serraino Vulpitta s’opposent au transfert vers celui de San Foca et à leur expulsion imminente, lançant des objets contre les policiers, dont la réaction sera très dure.

29 juin, Turin. Deux révoltes éclatent dans le Cpt Cso Brunelleschi, une la nuit et la seconde l’après-midi, suite à la protestation d’immigrés contre l’imminent rapatriement forcé d’un groupe. Les flics interviennent avec de violents tabassages : résultat, deux personnes blessées, des vitres cassées, des matelas incendiés et divers dégâts.
Le même jour, dans le Cpt de via Corelli à Milan, un petit groupe d’immigrés transférés du Cpt de Bari Palese entrent en grève de la faim pour protester contre le rejet de leur demande d’asile et contre leur expulsion imminente.

27 juillet, Bari. Un groupe de manifestants pénètre dans le Cpt de Bari Palese en pratiquant un passage dans le grillage d’enceinte, favorisant la fuite d’une vingtaine d’immigrés emprisonnés.

28 juillet, Turin. Révolte puis évasion de 22 personnes du Cpt : la moitié d’entre elles est encore en liberté, les autres sont immédiatement reprises par la police. Vers 1h30 du matin, les détenus ont réussi à escalader les murs d’enceinte de huit mètres et à gagner la sortie du Cpt de Cso. Brunelleschi. La fuite survient après une manifestation qui a bloqué la serrure de la structure. Au cours de la visite de quelques conseillers régionaux éclate une révolte : matelas incendiés et quelques filets déracinés.

15 août, Lamezia Terme (TZ). Une quarantaine d’immigrés s’évadent du Cpt mais sont immédiatement interceptés.

30 août 2003, Trapani. Un incendie est allumé dans le secteur des carabiniers du Cpt Serraino Vulpitta, suite au tabassage d’un jeune détenu. Après environ une heure, un autre incendie éclate dans le secteur de la police.

Septembre/octobre, Lecce. Les journaux locaux informent que les façades de quelques églises et bâtiments du centre ville sont l’objet d’écrits permanents contre le Cpt de San Foca et leurs gestionnaires, don Cesare Lodeserto et monseigneur Ruppi, et pour la liberté de tous ceux qui y sont enfermés.

Fin octobre, Lecce. Quatre tentatives de suicide dans le Cpt Regina Pacis en moins de quinze jours.

8 novembre, Lecce. Au cours de la nuit, rue Ariosto et dans la province (à Lequile), deux distributeurs de la Banca Intensa, complice de la gestion du Cpt Regina Pacis, sont incendiés et détruits. A Lequile, les billets de banque du guichet brûlent également, la fumée noircit aussi les parois internes de la banque. L’enseigne est brisée à coups de pierres. Des tracts contre le Cpt sont retrouvés sur place.

9 novembre, Lecce. Rue Oberdan, un autre distributeur de billets de la Banca Intesa est mis hors d’usage avec de la colle.

24 novembre, San Foca (LE). Un algérien détenu dans le Cpt agresse don Cesare Lodeserto avec une masse, le blessant au poignet.

3 décembre, Calimera (LE). Affiches et tags dans toute la région contre la doctoresse Catia Cazzato, impliquée dans le Cpt Regina Pacis. Suite au tabassage de quelques immigrés, elle avait rédigé de faux certificats médicaux soutenant que les prisonniers s’étaient fait des blessures accidentellement au cours d’une tentative d’évasion. L’affiche comporte son numéro de téléphone en invitant à lui exprimer son mépris.

12 décembre, Agrigento. Huit maghrébins tentent de s’évader du Cpt San Benedetto, creusant patiemment pendant deux jours un trou dans le mur. Malheureusement, le bruit du coup d’épaule final fera accourir trop rapidement leurs gardiens.

Accueil ?

Centre de rétention “Regina Pacis” de San Foca : lieu d’accueil et de solidarité chrétienne selon ses responsables et gestionnaires, monseigneur Cosmo Francesco Ruppi et don Cesare Lodeserto. Dans la réalité de tous les jours, un endroit de négation de la liberté et de la dignité pour chaque individu qui y est enfermé, lieu de torture si intolérable qu’il ne laisse d’autre voie de sortie, pour certains, que le suicide.
De temps en temps, quelques faits (…les plus éclatants) soulèvent la chape de silence dans les médias locaux. C’est ainsi qu’on a su qu’en l’espace de seulement trois jours, entre vendredi 3 et dimanche 5 octobre, deux immigrés enfermés là ont tenté de mettre fin à leurs jours, cas extrêmes d’une tendance diffuse à l’automutilation ; c’est ainsi qu’apparait la pratique continuelle de tabassages par les flics et celle des médicaments que des médecins distribuent à pleines mains pour endormir les esprits.

Sur les deux, “sauvés par le personnel”, l’un n’a pu aller à l’hôpital parce qu’il aurait pu “tenter de s’y échapper” (un crime gravissime que de désirer ardemment la liberté), et l’autre a été enfermé en département psychiatrique (il est emblématique ce passage de témoin entre les matons en soutane de Regina Pacis et les matons en blouse blanche que sont les psychiatres).

A peine quinze jours plus tard, le 19 octobre, un autre marocain a tenté de se blesser au poignet avec une lame après une forte altercation avec le personnel médical, puis a menacé de le refaire face aux carabiniers qui tentaient de l’arrêter ; il a ensuite été pris.

Les gestionnaires du centre continuent de dire que “ces épisodes ne sont que des tentatives de leur part pour se faire admettre à l’hôpital afin de retarder le rapatriement ou une occasion pour s’évader facilement”. Le moindre doute ne les effleure même pas sur le fait que là où la liberté est enchaînée, les sens se désolent et les désirs sont niés, et qu’il peut ensuite se produire de telles choses.

Mais la torture, la dépersonnalisation, la soumission, l’humiliation ne sont pas l’exception ; ce sont des données centrales, fondamentales qui seront toujours présentes dans chaque lieu de réclusion, peu importe qu’il s’agisse d’une prison, d’un CPT ou de départements psychiatriques. Nous ne pensons pas qu’on puisse trouver la solution en désignant un commissaire à Regina Pacis comme l’a demandé misérablement un parlementaire après en avoir dénoncé les aspects les plus bestiaux, pas plus que dans la salle d’un tribunal aux mains d’un juge illuminé (les instigateurs mêmes de ces ségrégations) qui ferait le tri entre les flics tabasseurs et ceux à visage humain.

Il ne s’agit pas de dénoncer une gestion trop inhumaine du centre de San Foca, mais bien de comprendre ce que nous voulons, ce que nous désirons, pour quels rapports entre individus nous sommes prêts à nous mettre en jeu.

Nous pensons que la question est sociale et qu’elle doit être posée hors des lieux du pouvoir, dans les rues, sur les places, entre les gens, pour briser le silence et la résignation du “je voudrais bien mais je ne peux pas”.

Voulons-nous et sommes-nous prêts à nous battre pour la liberté, celle qui est entière, absolue, donc aussi pour la liberté de mouvement de tous, sans exclusive ?

C’est justement cette liberté de mouvement qui est en définitive déniée dans le CPT aux individus qui, indésirables pour l’État, sont définis comme des “immigrés clandestins”. S’en est assez pour considérer comme intolérable la seule existence de lager “d’accueil”. C’est pour cette raison que nous sommes prêts à nous opposer à leur existence. C’est pour cela que, simplement, nous y donnerons un coup de balai définitif pour obtenir la liberté de tous.

Des ennemis de toute frontière
c/o Spazio Anarchico – Corte dei Petraroli 2 – 73100 Lecce