Sans Papiers Ni Frontières

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Contre les frontières et leurs prisons

En Grande-Bretagne les révoltes se propagent dans les centres de rétention.

Mars 2015. Depuis le début du mois, les révoltes se propagent dans plusieurs centres de rétention en Grande-Bretagne : grèves de la faim, occupations de cours de promenade, manifestations.

À l’extérieur des initiatives de solidarités sont menées : manifestations et rassemblements, témoignages de retenus, blocages d’expulsions, etc.

Pour tenter de mettre fin à ce mouvement, les autorités britanniques annoncent des expulsions massives. Plusieurs retenus ont été expulsés vers l’Afghanistan, où à leur arrivée ils ont été emprisonnés et torturés.

En Grande-Bretagne les centres de rétention sont sous gestion privée : ce sont des entreprises privées qui assurent la logistique et font régner l’ordre à coup de matraque. On peut citer Serco, G4S ou encore Mitie.

G4S est une des plus grosse entreprise de service de sécurité privée au monde. Elle a prospéré en profitant des politiques sécuritaires imposées par les États pour poursuivre son développement, notamment en Grande-Bretagne, aux États-Unis et ou encore en Israël. Elle assure la « sécurisation » de nombreuses prisons et centres de rétention dans ces pays et « offre ses services » en de nombreuses autres occasions.

Voici une chronologie incomplète des derniers événements et quelques liens pour aller plus loin (en anglais) :

Le 7 mars, une manifestation s’est tenue devant les deux prisons pour étrangers situées à côté de l’aéroport de Heathrow (Londres) en solidarité avec les migrants : pendant deux heures, un petit groupe de solidaires a fait un peu de bordel devant les lieux d’enfermement en secouant les barrières. À Colnbrook, quelques retenus ont répondu en sortant dans la cour de promenade en criant “Liberté” , “Laissez-nous sortir”À Harmondsworth, les retenus frappaient sur les fenêtres en brandissant des pancartes pour la liberté. Un message des personnes détenues disait : “Nous avons vu ce qui s’est passé aujourd’hui et nous voulons vraiment dire un grand merci pour votre soutien. Nous, les détenus … avons besoin de votre aide et de votre soutien”.

Le lendemain, au centre de rétention d’Harmondsworth, 200 migrants ont protesté et ont annoncé qu’ils commençaient une grève de la faim (les protestations de migrants ont débuté la semaine précédente dans ce centre et régulièrement des manifs bruyantes en solidarité se tiennent devant).

Géré par l’entreprise Mitie, c’est le plus grand centre de rétention de Grande-Bretagne : plus de 600 migrants y sont enfermés. Une vidéo tournée clandestinement et montrant les conditions de détention a été publiée sur internet et reprise par plusieurs médias.

Ce centre de rétention est connu pour les grosses émeutes qui y ont eu lieu en 2004 et 2006 (voir en fin de texte).

Harmondsworth, le 9 mars

Dans le même temps, au centre de rétention pour femmes de Yarl’s Wood, plusieurs retenues ont occupé la cour de promenade et protesté pendant deux nuits d’affilée. À plusieurs reprises ces dernières années des femmes ont dénoncé les violences sexuelles que les gardiens de la prison leur avait infligée.

Le 9 mars, la grève de la faim s’étend aux centres de rétention de Douvres et Dungavel.

Le 10 mars, 50 sans-papiers étaient en grève de la faim à Tinsley House, des manifs ont aussi eu lieu à Brook House (une expulsion a été empêchée vers 18h car des solidaires se sont agrippés au pare-brise des expulseurs et ont bloqué la route en direction de l’aéroport ; 4 personnes ont été arrêtées lors de cette action). (Tinsley House et Brook House sont situés à côté de l’aéroport de Gatwick)

Une grève de la faim a débuté à Moreton Hall (Nottinghamshire).

Dans la matinée des manifs se sont tenues devant les bureaux du ministère de l’intérieur à Victoria, ainsi que devant les prisons pour étrangers de Tinsley House, Brook House, Harmondsworth et Colnbrook.

Le 12 mars, plus de 20 personnes sont encore en grève de la faim au centre de rétention de Colnebrook. Ils sont enfermés dans les batîments du centre et ne peuvent plus accéder à la cour de promenade.

Dimanche 15 mars, la lutte touche désormais huit centres de rétention à travers le Royaume-Uni. Les retenus du centre de rétention de Dungavel en Ecosse (à côté de Glasgow) et de Douvres refusent la nourriture. Les six autres prisons dans lesquelles les migrants luttent sont celles de Yarl’s Wood (Bedfordshire), Harmondsworth et Colnbrook, Tinsley House et Brook House, à Moreton Hall (Nottinghamshire).

Le 16 mars, le gouvernement britannique annonce qu’un avion charter à destination du Pakistan doit partir le lendemain pour expulser des centaines d’immigrés du Royaume-Uni. C’est une manière pour le pouvoir de tenter de faire taire la contestation.

À l’extérieur, des solidaires font sortir la parole des retenus à travers des témoignages qui sont publiés sur le site Detained Voice :

Harmondsworth. Vendredi 13 mars:

« La réponse à la protestation, c’est comme s’ils n’avaient d’oreilles pour entendre, n’ont pas de cœur qui bat. L’eau a été coupée pour toute la journée. Non, ce n’était pas pour des travaux d’entretien parce que si vous voyez ils ont fermé l’ensemble de l’unité. L’aile complète a été fermée pour toute la journée. Parce que si vous voyez, il y a aussi des gens musulmans là-bas qui ont l’habitude de prier cinq fois par jour et ils ne pouvaient pas utiliser les toilettes, et ils ne pouvaient pas utiliser l’eau ou quoi que ce soit pour prier . J’entends qu’ils disent qu’il a été fermée pendant une heure ou pour près de six chambres, mais ce n’était pas fermé pour l’aile entière pas seulement pour six chambres, et ça a été fermée pendant toute la journée. »

« Ils ne se soucient pas de ce que nous faisons à l’intérieur. Nous sommes en train de mourir. A cause des protestation hier, un de mes potes est allé à l’hôpital à cause de cela, parce qu’il est tombé malade. Il a commencé à vomir parce qu’il ne mangeait pas. Il était en grève de la faim, il est tombé malade et a commencé à vomir, et maintenant nous ne savons pas où il est…. »

Plusieurs textes en solidarité ont été rédigés et distribués dans les rues, appelant à la solidarité active :

Comme ces déclarations le montrent clairement, l’approche des autorités pénitentiaire est la force brutale et l’isolement, sachant que quelques-uns entendront les voix qui traversent les murs.
La solidarité active est indispensable.

Les prisonniers demandent à maintes reprises que nous répandions leurs mots et de faire savoir à davantage de gens ce qui se passe à l’intérieur de ces prisons en grande partie oubliées.

Juste un petit groupe ou un individu criant à travers les murs peut aider à stimuler la force de ceux qui sont en grève de la faim. Devant la plupart des centres de rétention britanniques, il est toujours possible de s’approcher des cellules où les gens sont retenus, ainsi nous pouvons communiquer visuellement et avec le son.
Mais le régime des frontières est tout autour de nous. Nous pouvons nous-mêmes attaquer ça où que nous soyons.

Le ministère de l’intérieur britannique a signé et administre des bureaux, des cellules de rétention, et des bases d’où ils lancent des rafles, dans de nombreuses villes.

Une grande partie de leur travail de gestion des centres de détention est sous-traitée par des entreprises privées, dont Mitie, G4S et Serco, qui ont également des bureaux à travers le pays et partout dans le monde.

(en partie repris depuis Le chat noir émeutier et complété par nos soins)

Pour plus d’infos et lire des témoignages (en anglais) :

Rabble

Detained voices 

Anti raids network 

À propos des émeutes de 2004 et 2006 au centre de rétention d’Harmondsworth, voici un extrait du texte Beau comme des centres de rétention qui flambent, paru dans la revue à corps perdu n°1 (décembre 2008)

Harmondsworth prend le relais

Mais les émeutes et incendies n’allaient pas s’arrêter en si bon chemin. Après Yarl’s Wood en février 2002, c’est le centre de rétention de Harmondsworth qui allait faire parler de lui le 19 juillet 2004 puis le 29 novembre 2006.
Situé près de l’aéroport d’Heathrow (à l’ouest de Londres), ce centre de deux fois 550 places a ouvert en 2001 et était géré par l’entreprise privée Uk Detention Services (UKDS), en contrat pour huit ans avec le ministère de l’Intérieur, rebaptisée Kalyx Ltd suite à la première révolte. En mai 2004, éclate une première grève de la faim collective de 220 retenus, protestant contre la longueur des procédures et les violences des gardes. Le 19 juillet vers 20h, un demandeur d’asile kosovar de 31 ans est retrouvé pendu, sa demande venant d’être rejetée et son expulsion programmée pour le lendemain (il y a eu 17 suicides officiels en centre de rétention de 2001 à 2006 et 185 auto-mutilations rien que pour les 10 premiers mois de 2006). La nouvelle se diffuse alors comme une traînée de poudre et un groupe de Jamaïcains refuse de réintégrer les cellules vers 23h. L’affrontement avec les gardiens tourne à leur avantage et ces derniers se retirent. La révolte s’étend alors rapidement et les insurgés commencent à mettre le feu et à détruire la structure. Une petite centaine continuera jusqu’à 9h du matin, lorsqu’ils seront défaits face à la police, aux matons et à leurs groupes spécialisés anti-émeutes (les «tornado teams»). Le camp de Harmondsworth sera en partie fermé suite aux dégâts structurels (22 millions de Livres) et nombre de détenus seront transférés.

Suite à cette révolte, les conditions de détention se rapprocheront encore un peu plus de celles d’une prison de haute sécurité. A titre d’exemple, et en plus des tabassages punitifs, les matons ont institué le rapport disciplinaire, nommé I.P. dans leur jargon, sachant que plus de deux rapports envoyaient directement au mitard (une heure de promenade par jour et isolement total sans affaires personnelles). Les retenus ont raconté comment des I.P. étaient bien entendu totalement arbitraires, comme le fait d’adresser la parole à un garde «de manière maléduquée» ou pour «non-coopération». Cet isolement qui va jusqu’à 45 jours avait été utilisé près de 129 fois à Harmondsworth rien que pour les six premiers mois de 2006. Un second facteur de l’explosion est liée au durcissement des conditions extérieures : en plus d’incarcérer les immigrés en attente de déportation ou en attente de révision de leur refus de permis de séjour, Harmondsworth a vu croître de façon exponentielle au cours des dix mois précédant la seconde révolte la quantité d’immigrés incarcérés suite à un passage en prison. Le ministre de l’Intérieur John Reid avait en effet multiplié les dispositifs pour accélérer l’expulsion de tout étranger ayant commis un délit, y compris lorsqu’ils avaient la citoyenneté britannique depuis des années (soit un permis de résidence). Nombre de fils d’immigrés ayant grandi en Angleterre se sont retrouvés ainsi pris dans les filets de la double-peine.
Si les causes conjoncturelles liées à la révolte n’ont pas filtré, l’enfermement suffit à expliquer que du 28 au 29 novembre 2006, c’est l’ensemble du centre et ses quatre ailes qui ont été cette fois saccagés pendant 18 heures par les 484 retenus : sanitaires, murs, fenêtres, caméras de surveillance. Initiée vers 12h30, la révolte s’est amplifiée à partir de 23h30 lorsque le feu est venu remplir son office ravageur, aidé ensuite par l’inondation générale provoquée par les détecteurs anti-incendie. Se servant de couvertures, certains révoltés ont également composé le texte géant «SOS FREEDOM» (Sos, Liberté) dans la cour, qu’un hélicoptère de la télé Sky News a diffusé, provoquant immédiatement le black-out du coin, décrété «zone d’opération avec interdiction de survol». Enfin, une tentative de tractation a eu lieu pendant les affrontements dans l’aile C du centre : parlant au nom des autres, des retenus acceptaient l’expulsion immédiate des déboutés définitifs («plutôt déportés que prisonniers à temps indéterminé [jusqu’à 3 ans] dans un méandre juridique») en échange de la liberté conditionnelle pour tous les autres. Mais même ce réformisme revendicatif n’a suffi à éviter l’intervention des flics, pas plus qu’il n’a freiné la rage des autres (Jamaïcains, Iraniens, Irakiens, Kenyans, Nigérians,…), achevant la démolition entreprise deux ans auparavant.
Les retenus ont été transférés, et les dégâts se montent à plusieurs millions de Livres.