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Contre les frontières et leurs prisons

Frontex, triton et la coopération, les nouvelles idées de l’union européenne pour renforcer la guerre aux migrant.e.s en Méditérranée -et pas que

15 octobre 2014. Dans les mois qui viennent, l’Union européenne (UE) a prévu la mise en place de plusieurs nouvelles mesures visant à renforcer la guerre contre les migrant.e.s qu’elle mène depuis des années. Ces mesures sont -entre autres- le résultat de plusieurs mois de travail de la « task force pour la Méditerranée » mise en place après les naufrages d’octobre 2013. L’UE veut faire face aux nouvelles routes empruntées par les migrant.e.s pour se rendre en Europe et renforcer le contrôle à des « points stratégiques » : les frontières grecque et bulgare avec la Turquie, la frontière ukrainienne, ce qu’ils appellent « la route de la soie » (Chine, Inde, Pakistan, Afghanistan) et enfin la Méditerranée.

L’opération de contrôle Mos Maiorum qui se déroule actuellement dans toute l’Europe va leur permettre de récolter des données sur les routes migratoires, les pays de départ et d’origine des migrant.e.s, les points de passage et d’arrivée en Europe, sur les moyens empruntés, etc. Le renouvellement annoncé de cette opération tous les six mois a pour objectif d’en suivre les évolutions et d’adapter en fonction une politique de contrôle et de répression. Les États européens cherchent à tout prix à fermer l’accès de la forteresse pour celles et ceux qui n’ont pas accès au système de visa.

La stratégie à venir de l’UE repose sur trois axes, mais ne fait que consolider ou étendre des dispositifs déjà existants :

Renforcer l’externalisation de la politique migratoire européenne : la coopération avec un certain nombre de pays, principalement en Afrique, va être soit consolidée (s’il existe déjà des accords de coopération avec des pays de l’UE ou directement avec l’UE) soit mise en place. En tout 21 pays vont potentiellement devenir les « gendarmes de l’Europe » et les objectifs sont divers : empêcher les bateaux de partir d’Égypte, de Tunisie et de Libye, empêcher les migrant.e.s d’atteindre ces pays ainsi que l’Éthiopie et le Niger, obtenir un accord de réadmission avec la Turquie pour y expulser celles et ceux qui y auraient laissé leurs empreintes, ouvrir des camps de réfugiés gérés par le HCR au Soudan, en Éthiopie, en Érythrée, en Somalie, etc. visant à contraindre de gré ou de faim les réfugié.e.s à rester sur place, entamer un dialogue avec le Liban, la Jordanie et l’Irak. Il est aussi question de multiplier les expulsions communes par charter européen sous la coordination de Frontex, les programmes d’assistance au « retour volontaire ». Enfin l’UE veut persuader les pays du Maghreb de participer au programme de surveillance maritime Seahorse Mediterraneo dont le but est d’intercepter, en amont, les personnes qui tentent de franchir les frontières européennes en intensifiant le contrôle des côtes et des territoires du nord de l’Afrique au moyen d’outils de haute technologie. Un programme similaire existe depuis 2006 en Atlantique (Seahorse Atlantico) auquel participe le Maroc, le Sénégal, la Mauritanie, la Gambie, le Cap Vert, la Guinée Bissau, l’Espagne et le Portugal.

Tous ces objectifs œuvrent dans le même sens : que les migrant.e.s soient stoppé.e.s avant d’atteindre les rives sud de la Méditerranée et reléguer le contrôle et la gestion des migrations à certains pays d’Afrique en échange de moyens financiers, matériels et d’accords de coopération économique. Les frontières de l’Europe sont repoussées toujours plus loin.

– Renforcer l’agence européenne Frontex et le contrôle en Méditerranée, notamment avec l’opération Triton (Frontex Plus). Le second grand axe concerne l’agence européenne de surveillance des frontières extérieures, Frontex.

Depuis sa création en 2004 elle multiplie les opérations maritimes, terrestres et aériennes à l’aide de moyens de haute technologie (radars mobiles, caméras thermiques, détecteurs de battements de cœur, drones), d’équipements militaires et de moyens humains toujours plus importants. Le matériel et les militaires sont mis à disposition de Frontex par les États membres. Frontex dispose également d’un budget annuel de plusieurs dizaines de millions d’euros (19 millions en 2006, 89 millions en 201, 93 millions en 2013, 89 millions en 2014) dont une grande partie est consacrée exclusivement à la surveillance des frontières. Une augmentation du budget est prévue pour 2015.

Depuis 2011, Frontex a la possibilité d’acquérir ou de louer par crédit-bail ses propres équipements (navires, hélicoptères, etc.) ou de les acheter en copropriété avec un État-membre. Dans cet objectif, Frontex participe à de nombreuses rencontres avec des professionnels de l’armement, de l’aéronautique et des technologies avancées, des centres de recherche et des agences policières et judiciaires internationales. Ainsi c’est un tremplin pour les vendeurs d’armes et les développeurs de technologie (Aerovision, Thalès, Israel Aerospace Industry, etc.). Frontex gagne en autonomie et tisse un large réseau de marchands de mort.

En décembre 2013 l’UE lance le « système européen de surveillance des frontières » EUROSUR. C’est Frontex qui en assure le fonctionnement et il permet à tous les États participants d’échanger en temps réel des images et des données recueillies via plusieurs outils de surveillance (satellites, hélicoptères, drones, systèmes de comptes rendus des navires…) sur les frontières maritimes, terrestres et aériennes de l’Europe, avec une priorité mise sur la frontière méditerranéenne. EUROSUR bénéficie d’un budget de 224 millions d’euros pour la période 2014-2020.

Frontex a également mise sur pied une équipe de gardes frontières européens, « European Border Guard Teams » (fusion entre les RABIT Rapid Borders Intervention Teams et les FJST Frontex Joint Support Teams) et un centre de formation (European Training Scheme) au sein du Collège européen de police (CEPOL).

Au 1er novembre, Frontex lance l’opération Triton (Frontex Plus). Sa zone d’intervention s’étend de la Sicile aux côtes sud de l’Italie en passant par Lampedusa et elle dispose d’un budget de 2,9 million d’euros par mois.

Cette opération s’inscrit dans la liste des nombreuses autres : Hera entre les côtes ouest de l’Afrique et les îles Canaries, Indalo et Minerve entre le Maroc et l’Espagne (Détroit de Gibraltar), Hermès entre la Tunisie, la Libye et Malte, Poséidon au large de la Grèce et de la Turquie, Neptune à la frontière terrestre serbo-croate et serbo-hongroise, Jupiter à la frontière est de l’Europe. Pour l’année 2014 (qui n’est pas finie), Frontex a également organisé 21 vols charters d’expulsion groupée entre plusieurs pays européens.

L’opération Triton a été pensée, dans la suite de l’opération Mare Nostrum vendue comme une opération de sauvetage, pour contrer les futures arrivées sur les côtes européennes des bateaux partant de Tunisie, de Libye et d’Égypte. Les récents naufrages montrent bien que ces opérations n’ont rien de sauvetages, mais servent à cloisonner l’Europe et à intercepter tou.te.s les migrant.e.s en passe de réussir à y poser pied. La guerre technologique et militaire menée par l’Europe, dont Frontex est un parfait chien de garde à la laisse de plus en plus longue, a causé la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes ces 20 dernières années. Mort de faim et de soif, mort de noyade, tué par les garde côtes ou la police, etc.

Mais le renforcement du contrôle ne viendra jamais à bout de la détermination de celles et ceux qui veulent migrer. L’Europe crée les conditions de futurs naufrages, rendant les routes de plus en plus longues et dangereuses. Les frontières de l’Europe sont toujours plus contrôlées et meurtrières.

– L’identification et l’enregistrement systématique des migrant.e.s arrivant en Europe. Ce dernier axe vise à empêcher les personnes arrivées dans un premier pays européen de se rendre ensuite dans un autre pays européen pour s’y installer. Pour cela il est demandé aux flics et gardes-frontières de recourir systématiquement à l’identification des personnes et à la prise d’empreinte dès qu’elles ont franchi une frontière extérieure de l’UE de manière « illégale ». La commission européenne appelle les États à prendre des mesures répressive contre celles et ceux qui refuseraient de s’y soumettre.

L’application de cette mesure va permettre aux États de mieux gérer les déplacements au sein de l’Europe et de les limiter. En effet, la convention de Dublin (III) dit que les personnes dont les empreintes ont été prises dans un pays (par exemple lors de leur arrestation en arrivant en Europe) ne peuvent faire de demande d’asile dans un autre pays. De même qu’une demande d’asile ne peut être faite dans plusieurs pays et ne peut être transférée : le pays où elle a été déposée est « responsable » de cette demande. Cela implique par exemple qu’une personne arrêtée en France peut être expulsée en Italie si sa demande d’asile a été faite là-bas. L’extension de cette règle à des pays hors UE permet à l’Europe de se débarrasser des demandeurs d’asile.

Toutes les personnes dont les empreintes et l’identité sont prises sont ensuite fichées dans la base de données EURODAC qui permet l’application de cette règle sur l’asile. Y sont enregistrées toutes les informations sur l’identité et les empreintes des personnes ayant demandé l’asile et des personnes ayant été arrêtées lors du franchissement d’une frontière européenne extérieure. Les empreintes des personnes sans papiers arrêtées sur le territoire européen peuvent être comparées à celles enregistrées.

Les frontières en Europe sont toujours plus présentes. Dans la rue, dans les transports, chaque contrôle d’identité peut aboutir à l’enfermement en centre de rétention et à l’expulsion si l’on n’a pas le bon papier. Chaque point de contrôle matérialise un bout de frontière disséminé dans toute l’Europe.

Le discours dominant vise à renforcer chaque jour un peu plus la haine de l’autre et construit la figure d’un sans papiers ennemi que tout le monde veut voir partir : profiteur, clandestin, terroriste, voleur, etc. Les indésirables qu’il faut éloigner, enfermer, expulser. Cette construction médiatique et politique vise à légitimer la répression de l’État et renforce la séparation et la logique du chacun pour soi. Les patrons savent tirer profit de cette situation et exploitent sans vergogne. La menace du contrôle et de l’expulsion est une politique de terreur qui, mêlée au racisme ambiant, laisse peu de place à la solidarité, à l’entraide et à la lutte.

Pourtant les raisons de se révolter ne manquent pas. S’attaquer aux frontières et aux politiques européennes migratoires peut paraître un combat de titan. Mais lutter contre la machine à expulser, contre les rafles, contre les centres de rétention, construire des initiatives de solidarité avec les migrant.e.s, c’est mettre un pavé dans l’engrenage de la guerre aux migrant.e.s.

À lire un article sur Paris Luttes Infos : Frontex, Europol ou une police européenne en devenir

Des cartes sur les opérations Frontex

Category: Brèves des frontières

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